Sur une chaise ou un canapé, le jeune s’affale, puis se déplie.

Elle prend très largement ses aises, mais n’a rien pour s’installer. Le portrait robot de la « génération vautrée » a été esquissé par Gérard Laizé, directeur général du VIA, l’association pour la valorisation de l’innovation dans l’ameublement, et François Bellanger, directeur de Transit Consulting.

Les deux auteurs interpellent les industriels de l’ameublement qui n’ont pas encore révisé leurs standards de production pour satisfaire cette jeune population.

Conséquences naturelles de l’évolution morphologique d’une génération qui a bénéficié d’une éducation plus permissive que ses aînés, les attentes des vautrés sont guidées par un souci exacerbé du confort.

Leurs besoins se fondent sur des logiques comportementales clairement identifiables à leur façon d’appréhender une chaise, un canapé ou un lit. Objets sur lesquels ces grands invertébrés adorent s’affaler.

« Offense au dos de la chaise »

Le vautré serait né autour des années 1980. Avec lui, le principe de bienséance du XIXe siècle, qui interdit « d’offenser le dos de sa chaise », a visiblement sauté. Cette génération ne s’assied pas, elle s’effondre, puis se laisse dégouliner à l’oblique du dossier. Biberonné au Stérogyl, vitamine favorisant l’absorption du calcium chez l’enfant, ce Bambi a poussé comme un bambou, jusqu’à parfois dépasser ses géniteurs d’un bon décimètre.

Car si, depuis 1970, la campagne nationale de mensuration estime que les Français ont grandi en moyenne de 2,1 cm pour les femmes et de 5,5 cm pour les hommes, la jeune classe, elle, explose les standards.

Avec son côté monté en graine et ses allures de Gaston Lagaffe, le vautré reste sourd au parental principe du « tiens-toi droit » répété par ses autorités exaspérées. Et, il a un peu raison, le Gaston.

Car les médecins sont unanimes pour dire que la position assise traditionnelle, comparée à la posture debout ou allongée, s’avère être la moins conforme à sa physiologie. « La position assise idéale durable n’existe pas, car elle n’est pas naturelle pour l’homo sapiens, explique le docteur Demauroy, président du Centre européen de la colonne vertébrale à la clinique du Parc, à Lyon.

Pendant sa croissance pubertaire, un adolescent peut grandir de 25 cm en moins de deux ans, ce qui crée des tensions ligamentaires très importantes autour de sa colonne vertébrale. Il souffre d’hypotonie, à savoir que ses muscles opèrent une force, sans toutefois pouvoir maintenir une position. L’adolescent a besoin d’ajuster ses tensions ligamentaires pour permettre à ses muscles de se relâcher. »

Autre image caractéristique du comportement du vautré, son approche du canapé. Contrairement à ses parents, le jeune ne prend pas place sur un sofa. Il s’affale. Pile au milieu. Puis, avec ses jambes de faucheux, dessine une sorte d’accent circonflexe, les semelles de ses baskets en appui sur le rebord de la table basse. « Un angle d’assise à 127 degrés, que les scientifiques de la Nasa ont qualifié de "zéro gravité" alors qu’ils travaillaient sur les postures naturelles des astronautes en situation d’apesanteur, souligne Julien Barthelat, ingénieur ergonome au Centre technique du bois et de l’ameublement (CTBA). Cette position permet de supprimer les tensions de la colonne vertébrale, tant au niveau des cervicales que des lombaires. »

Se libérer du poids de son corps

Le principe premier de cette génération vautrée est de chercher des points d’appui pour se libérer du poids de son corps. « La posture zéro gravité n’est efficace qu’à condition de la soutenir des coudes et des jambes, ce qui libère jusqu’à 60 % du poids du corps, précise Gérard Laizé. Faute d’appui, on comprendra alors la consommation excessive de coussins chez le vautré pour se caler les bras ou la tête, lourde de cinq kilos. Faute de repose-pieds, le phénomène baskets collées sur la table basse devient d’une logique évidente. »

Comme le vautré vit souvent en bande, il n’est pas rare de le retrouver avec ses comparses en plein squattage des surfaces planes qu’offre la maisonnée.

Ces adeptes de la posture guimauve sont nés une souris d’ordinateur à la main et usaient de la télécommande avant de dire papa. Cette position, entre l’avachi et l’étalé, n’a pas échappé à Olivier Bertrand, président du groupe Bertrand, propriétaire de restaurants parisiens tels Lipp, Angelina, Tsé, Libre Sens et Bert’s. Son petit dernier, Le Mood, qui a ouvert mi-mai sur les Champs-Elysées, renouvelle le concept d’espace à la romaine : il permet aux clients adeptes de la position affalée de s’allonger sur des banquettes lits.

Une literie idoine

De même, en matière de literie, la génération vautrée recherche en priorité une zone pour prendre ses aises. Si possible en 160 cm de large quand l’espace le permet. « Les lits de 160 sur 200 cm constituent désormais un tiers de nos ventes. Mais pour des raisons d’encombrement ou de budget, il est fréquent que les jeunes demandent des lits de 120 cm de large, livrés sans pieds, mais avec des coussins, pour pouvoir servir de canapé dans leur chambre », souligne Freddy Geoffroy, président de la Compagnie financière européenne de literie, qui fabrique plus d’un million de matelas chaque année. « Ce produit est devenu multifonctionnel et doit répondre aux attentes de postures allongées et assises, poursuit Freddy Geoffroy. Ainsi, les ventes de matelas à ressorts ont chuté de 25 % en dix ans. Celles de futons se sont carrément effondrées, car ces derniers n’ont pas résisté au désir de confort. »

Fort naturellement, les comportements de la génération vautrée influencent les créations des designers de mobilier contemporain. Faut-il encore que le vautré ait les moyens de s’offrir une signature. En attendant de se payer le confort des collections Ligne Roset et Cinna présentées par le créateur Didier Gomez au Salon du meuble de Milan, ce futur Tanguy peut toujours se carrer les lombaires sur du Ikea, But, Conforama et consorts...

mis en ligne le lundi 15 mai 2006
par ML



  
BRÈVES

Free counter and web stats

Warning: file_exists() [function.file-exists]: Unable to access /mnt/152/sdc/c/1/ul.fcpe.rueil//inc-public.php3 in /mnt/115/sdb/c/1/ul.fcpe.rueil/mqu/log.php on line 61