« L’ordonnance de 1945 est d’une grande modernité »

Pour le magistrat de Bobigny Jean-Pierre Rosenczveig, ce texte doit rester un équilibre entre l’éducation et la sanction.

Président du tribunal pour enfants de Bobigny depuis 1992, Jean-Pierre Rosenczveig est aussi membre du comité de pilotage de la réforme de la protection de l’enfance.

Le grief qui vise l’ordonnance de 1945, à savoir qu’elle aurait fait son temps, est-il justifié ?

Jean-Pierre Rosenczveig. Ce texte qui date de 1945 est encore adapté. D’abord parce qu’il a supporté une trentaine de réécritures partielles. Dans sa souplesse et dans ses adaptations régulières, l’ordonnance de 1945 a su ménager des espaces de créativité, comme les mesures de réparation ou la création du statut de délégué du procureur. Revu et corrigé régulièrement, c’est un texte qui, sur le plan juridique, n’est pas « daté » de 1945. Il a été modernisé, ce qui ne signifie pas qu’il ne soit pas perfectible. Deuxième argument sur le fait que ce texte reste au goût du jour : les principes sur lesquels il est fondé sont d’une grande modernité. Ils consistent à dire qu’il faut privilégier l’éducation sans s’interdire la répression. Tous les parents pratiquent ce double jeu au quotidien.

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy veut diviser la fonction de juge des enfants - les uns affectés au pénal, les autres à la protection de l’enfance. Or, en 1958, Charles de Gaulle a donné au juge pour enfants une compétence sur les mineurs en danger et sur les mineurs délinquants. C’est là un élément de modernité et de protection fantastique pour l’enfance de notre pays. Car il ne faut pas attendre qu’un gamin soit délinquant pour venir l’aider.

Et quand on la taxe de laxiste ?

Jean-Pierre Rosenczveig. Allez voir sur le site du ministère de la Justice les derniers chiffres, qui datent de 2004, sur les mineurs. Que voit-on ? Cette année-là, 70 000 mineurs ont été poursuivis devant les tribunaux pour enfants. Dans le même temps, pour des faits antérieurs, il y a eu 7 500 condamnations à des peines de prison ferme, 15 000 avec sursis, soit 22 500 peines prononcées. Si vous y rajoutez les mesures de réparation (15 000), les mesures de travail d’intérêt général (TIG), est-ce que vous avez le sentiment que la répression est exceptionnelle ? Et puis l’article 2 de l’ordonnance de 1945 permet au juge d’utiliser la voie répressive en cas d’échec des mesures éducatives.

Que pensez-vous de l’argument avancé par Nicolas Sarkozy selon lequel « la sanction (serait) une forme d’éducation » ?

Jean-Pierre Rosenczveig. Le thème commun du discours de Nicolas Sarkozy et du ministre de la Justice, Pascal Clément, c’est que la meilleure éducation est la sanction. C’est un discours de droite, Alain Peyrefitte l’utilisait déjà en son temps. C’est ce qui oppose, depuis cent cinquante ans, les tenants de l’ordre, qui disent « On met une gifle et après on réfléchit », et les gens qui sont plus sociaux, plus libéraux et qui veulent d’abord « donner une chance aux gens avant de leur taper dessus ». Leur pensée est simple : « Avant de réfléchir, il faut condamner, et c’est dans le cadre de la condamnation qu’il faut mettre des mesures éducatives en place. » Jusqu’à présent, on faisait le contraire. En cas d’échec, il reste la possibilité de condamner à une peine de prison avec sursis. Et si cela échoue encore, il reste l’incarcération.

Le gouvernement prône également la sanction immédiate...

Jean-Pierre Rosenczveig. L’ordonnance de 1945 ne se contente pas de demander au juge de juger un fait, mais de transformer l’auteur du fait. Le vrai problème n’est pas d’accélérer la mesure de jugement, mais de garantir pour tous les gamins en difficulté, du fait de leur délinquance, une réponse à la hauteur du problème qu’ils rencontrent. La prison n’est qu’un temps d’une prise en charge, qui n’est pas un but mais un moyen. On veut transformer les juges en machines à juger. On veut abaisser la majorité pénale, limiter les possibilités d’admonestation. Il faut au contraire nous donner les moyens d’assurer l’application de la loi. Qu’est-ce qui légitime une énième réforme ? Est-ce que la situation s’est aggravée ? On nous a dit que grâce à l’action du gouvernement la délinquance juvénile avait baissé de 6 %. On est dans l’idéologie.


L’Humanité du 10 mai 2006

mis en ligne le vendredi 12 mai 2006
par ML



  
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