LE FIGARO.FR Catherine Petitnicolas [27 septembre 2005]
En rendant publiques les recommandations d’un groupe d’experts vis-à-vis des « troubles des conduites » chez l’enfant et l’adolescent, l’Inserm prend le risque de s’attirer les foudres de ceux qui contestent ce concept très anglo-saxon. Il n’empêche qu’une telle expertise réalisée à la demande de la Canam (Caisse nationale d’assurance-maladie des professions indépendantes) a le mérite de proposer des solutions, surtout au niveau du repérage précoce de ces difficultés et de leur prise en charge.
Qu’entend-on par « troubles des conduites » ? Il ne s’agit pas de garçons turbulents et bagarreurs, un signe de bonne santé, même si cela peut perturber la vie familiale. Mais d’enfants, puis d’adolescents en grande difficulté, en proie à des comportements violents et répétés depuis la petite enfance, ou très opposants et perturbateurs, ne supportant aucune frustration. Certains n’hésitent pas à commettre des actes de vandalisme, de fraude de vol (voire de viol) et ne manifestent ni remords ni culpabilité, rejetant la faute sur autrui.
Mais s’empresse de préciser Isabelle Gasquet, psychiatre et épidémiologiste à l’Inserm « il faut bien faire la différence entre de tels troubles et la délinquance. Même si ces manifestations peuvent les amener à être confrontés au système judiciaire ».
Selon certaines études, chez les ados ayant commis de véritables actes de délinquance, 30 à 60% des garçons présentaient de tels troubles. Leur pic de fréquence se situe à l’adolescence avec 5 à 9% des garçons et 2 à 5% des filles. Du moins selon les enquêtes internationales, car il n’y a aucune donnée similaire pour notre pays. D’où les recommandations des experts de réaliser des études épidémiologiques pour mieux appréhender ce phénomène.
Si les spécialistes s’accordent pour dire que les manifestations d’agressivité sont normales chez les petits jusqu’à l’âge de deux à trois ans, celles-ci décroissent naturellement par la suite. Il semble donc essentiel de comprendre pourquoi certains bambins vont continuer à avoir un mode de fonctionnement violent et antisocial.
Parmi les facteurs de risque, plusieurs études ont rapporté un lien avec l’environnement familial - troubles du comportement du père ou de la mère, dépression maternelle, alcoolisme, toxicomanie, violence au sein du couple, personnalité antisociale chez un des parents. « On a longtemps accusé le divorce, mais ce n’est pas vrai, c’est plutôt l’intensité des conflits entre les parents avant et/ou après le divorce qui peut participer à l’émergence de tels troubles », analyse le Pr Antoine Guedeney, pédopsychiatre au CHU de Bichat à Paris ajoutant que, « en revanche, il faut signaler le rôle protecteur d’un grand frère ou d’un aîné ». La fréquentation de pairs délinquants multiplie par deux le risque de persistance de comportements agressifs. Le rôle néfaste de la violence à la télévision ou sur les consoles vidéo a été bien démontré par de nombreuses études. « Une telle exposition dès l’âge de huit ans est hautement prédictive de comportements agressifs ultérieurs, et ce indépendamment du statut socio-économique », souligne le Pr Guedeney.
Autre facteur de risque, une incompatibilité entre le tempérament de l’enfant (impulsif, irritable, ayant toujours soif de nouveauté et de changement) et les exigences éducatives de son entourage, soit par trop coercitif, soit par trop permissif. C’est dire l’importance de proposer des mesures de guidance parentale, voire d’« école des parents » à l’heure où l’on parle de plus en plus d’un nouveau phénomène, celui des « enfants tyrans ».
D’autres facteurs entrent en ligne de compte, en particulier, un mauvais développement du langage. « Celui-ci entrave la mise en oeuvre d’une bonne sociabilité, et favorise l’expression de réactions défensives chez l’enfant. »
Une chose est sûre en revanche, pour les experts, il est indispensable de repérer au plus tôt ces troubles de manière à proposer un suivi socio-psycho-éducatif précoce, en sensibilisant à ces troubles puéricultrices, éducateurs et médecins scolaires.
Ils recommandent un examen de santé vers 36 mois destiné à faire un premier repérage d’un tempérament difficile, d’une hyperactivité et des symptômes débutants du trouble des conduites. Un repérage qui permettrait de mettre en place des interventions préventives. Destiné en particulier aux enfants de jeunes mères célibataires isolées, en situation de précarité, mais aussi aux bambins nés dans des familles ayant des problèmes de toxicomanie ou de dépendance à l’alcool.