Ecole : mais où est passée la réforme ?

Il y a un an Claude Thélot remettait au gouvernement un rapport audacieux pour repenser notre système éducatif en profondeur. Une rentrée scolaire plus tard, qu’en reste-t-il ? Rien ou presque. Revue de détail des occasions manquées avec l’auteur

La rentrée se révèle plus houleuse que prévu. D’abord, le ministre de l’Education Gilles de Robien gère la rigueur budgétaire. Les syndicats font la grimace. Et voilà qu’il déclare sur Radio-Notre-Dame vouloir donner « une égalité de moyens entre enseignement public et privé »...

La guerre scolaire est-elle rallumée ?

Claude Thélot. - C’est un faux débat. Le ministre ne fait qu’appliquer la loi Debré de 1959, qui dit que les établissements sous contrat remplissent un service public. A ce titre, ils ont des droits et des devoirs, comme les établissements du public. Quand on réfléchit au système éducatif, il faut le faire dans sa globalité. C’est d’ailleurs ce que nous avions fait, lors du grand débat sur l’école durant l’année 2003-2004 et dans les travaux de la Commission que j’ai par la suite présidée.

N. O. - Les premières mesures de la fameuse loi sur l’éducation votée au printemps dernier viennent d’entrer en application. Le remplacement des profs absents par leurs collègues du même établissement fait grincer des dents...

C. Thélot.- Cette organisation me semble pourtant aller dans le bon sens. Quel en est l’objectif ? Assurer que les élèves aient cours. Tout le monde est d’accord sur ce point. Or c’est bien au niveau de l’établissement et non dans les rectorats que l’on connaît au plus près les besoins et les personnels pour trouver un remplaçant qualifié dans les 48 heures. Nous y avions insisté dans notre rapport.

N. O. - Mis à part cette mesure, la montagne semble avoir accouché d’une souris. Le rapport que vous aviez remis il y a un an ne manquait pourtant pas de propositions...

C. Thélot.- Le ministre François Fillon a fait voter un texte très édulcoré par rapport à ce que proposait la Commission du Débat national sur l’Avenir de l’Ecole. Et les dispositions concrètes pour l’instant ne vont pas au-delà. Prenez le Haut Conseil de l’Education, qui devait décider de ce qu’il y aurait dans le socle commun de compétences, de connaissances et de règles de comportement, c’est-à-dire le bagage que devraient posséder tous les élèves qui sortent du collège. Il devient un organe consultatif, flanqué de représentants des syndicats et des parents, dotés, eux aussi, d’un rôle... consultatif. Quant au socle commun, c’est finalement le ministère qui le définira. Résultat : chaque discipline voudra être représentée et on risque fort de finir avec le même mille-feuille indigeste et inapplicable que d’habitude.

N. O. - Le ministre a cédé aux syndicats d’enseignants ?

C. Thélot.- Je constate simplement que les syndicats restent puissants. La principale représentation des enseignants, la FSU, a peut-être perdu de sa force, les militants de base ont peut-être vieilli, mais elle est toujours au cœur du système. Quant aux jeunes enseignants, ils sont souvent différents certes de leurs aînés, mais certains se retrouvent dans des syndicats d’extrême-gauche virulents, capables aussi de bloquer l’action ministérielle. Tout ceci explique, au passage, qu’il n’y ait rien dans la loi sur le métier d’enseignant.

N. O. - Faute d’audace, vous pensez qu’on a raté une occasion historique de réformer l’éducation ?

C. Thélot.- Faute de continuité entre le débat et la loi, plutôt. Le président de la République avait introduit un processus unique et très fécond en donnant la parole à tout le monde dans le pays, usagers de l’éducation ou non, pour s’exprimer sur notre école. Même si certains y ont vu un moyen de calmer le jeu, après les mobilisations du printemps 2003, cette initiative a suscité un moment inédit de participation des citoyens avant l’élaboration du projet de loi.

N. O. - Vous racontez cette aventure unique dans un livre qui vient de sortir (1).

C. Thélot.- Oui, car je crois que d’autres questions peuvent ainsi être débattues à l’échelle nationale, et que le mode d’emploi que nous avons adopté était intéressant. Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Education aurait pu s’appuyer sur l’attente que les débats avaient fait naître dans l’opinion, pour énoncer et engager les changements nécessaires. Il ne l’a pas fait. Il est vrai que le contexte politique était négatif, notamment après les deux élections régionales et européennes que la majorité avait perdues en 2004.

N. O. - L’école a pourtant besoin d’être réformée ?

C. Thélot.- Bien sûr, mais l’essentiel de la réforme du système éducatif ne relève pas de la loi. Elle peut relever de textes d’une autre nature : le statut des professeurs du second degré, par exemple, 15 heures de cours pour les agrégés, 18 heures pour les certifiés, a été fixé par simple décret en 1950. La réforme ne se passera pas en revanche d’une impulsion politique forte. Nous avons absolument besoin que le système soit piloté. Or il ne l’est pas. Nous sommes au royaume du disparate. Ici, c’est bien. Là, c’est moins bien. Il ne faut pas croire que le souci du bien commun, la pression des parents, l’exemple de bonnes pratiques, etc., suffisent à faire progresser les établissements où ça coince. L’expérience montre que ce n’est pas vrai.

N. O. - La contagion ne se fait pas toute seule ?

C. Thélot.- Non. Il faut une volonté politique et quelques cadres généraux pour organiser la diffusion des bonnes pratiques, créer des incitations, y compris financières, évaluer les résultats, mieux former les professeurs à vraiment faire réussir tous les élèves. Autre chose : deux tiers des chefs d’établissement partent à la retraite d’ici à 2012. Or on sait qu’ils jouent un rôle capital pour impulser une dynamique. Sur quels critères recrutera-t-on leurs successeurs ? Pour quel métier et avec quelle évaluation ? Tout ça, c’est à la puissance publique de le décider. Malheureusement, je ne crois pas que le service public soit assez au service du public.

N. O. - Au service de qui, alors ?

C. Thélot.- Je vous rappelle les faits : près de 15% des enfants qui entrent en sixième ne savent pas lire correctement, c’est inadmissible. Seule la proportion infime des élèves qui souffrent d’un réel handicap mental est vraiment empêchée. On critique beaucoup le collège, mais il faudrait aussi se préoccuper de l’école primaire. Les instituteurs ne sont pas suffisamment formés, évalués, etc. Il vaut mieux accompagner les élèves qui n’y arrivent pas au lieu de les laisser dériver ou dormir près du radiateur, comme cela arrive parfois. Il faut personnaliser davantage les apprentissages. La maîtrise du socle par tous devrait être un engagement de la nation envers la jeunesse. Il faut s’en donner les moyens.

N. O. - Plus de moyens ! Vous reprenez les revendications syndicales ?

C. Thélot. - Non ! Les syndicats réclament plus de moyens « partout ». Je ne parle pas de ça. A l’intérieur des contraintes financières qui sont les nôtres, il faudrait choisir. Déshabiller Pierre (mettre moins de maîtres dans les classes où il n’y a pas de problèmes) pour habiller Paul (en rajouter dans les zones difficiles où l’échec scolaire est important). Mais le pays est-il prêt à cet effort de « diversification maîtrisée » pour faire réussir les enfants qui ont du mal et, en particulier, ceux de milieu défavorisé ? On se contente de déplorer la constitution de ghettos sociaux. On fait des lois timides. On ne met pas assez l’accent, avec la ténacité nécessaire, sur les pratiques et comportements éducatifs, c’est-à-dire sur les quatre questions essentielles : le métier, la formation, le recrutement, l’évaluation. Et chacun continue de faire ce qu’il veut. Parfois impunément. Un exemple ? Beaucoup de directeurs d’école font grève depuis six ans en refusant d’assurer leurs tâches administratives. Sans que le ministère ait pour l’instant réussi à arrêter ce mouvement ou en ait tiré les conséquences.

N. O. - Changer l’école, mission impossible, alors ?

C. Thélot. - Non je ne crois pas, mais c’est très dur... alors que c’est si nécessaire.

(1) Claude Thélot, « Débattre pour réformer. L’exemple de l’Ecole », 236 p., Dunod, Paris, septembre 2005.

Fin connaisseur des arcanes de l’Education nationale, Claude Thélot, 58 ans, avait été choisi par Luc Ferry pour piloter la Commission du Débat national sur l’Avenir de l’Ecole. Il est aujourd’hui conseiller maître à la Cour des Comptes.

Caroline Brizard NOUVELS OBS

mis en ligne le lundi 19 septembre 2005
par ML



  
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