L’Express du 16/05/2005
Le boom de l’« école bis » propos recueillis par Delphine Saubaber
Une explosion sans précédent. Le rapport du sociologue Dominique Glasman sur le marché du soutien scolaire dresse un constat alarmant. Le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HCEE) rendra bientôt un avis. Son président, Christian Forestier, en rend compte à L’Express
De plus en plus d’élèves suivent des cours payants. A quoi cela tient-il ?
Le carburant de la demande, c’est l’angoisse des familles devant le poids excessif de la réussite scolaire. Notre société donne de moins en moins de chances d’insertion à ceux qui connaissent des difficultés au cours de leur scolarité. Elle fait peser sur eux une pression terrible. Dans les pays anglo-saxons, le diplôme n’a pas le caractère sacré qu’il a en France ! Or, les cours payants misent sur l’ « excellence ». On en redemande en maths ou en physique... pas en arts plastiques ! Cela dit, il faut bien distinguer le soutien donné par les collectivités territoriales et par les associations à des élèves d’origine plutôt modeste de ces cours privés. Ceux-là recrutent dans les classes moyennes et - surtout - aisées, encouragées par la mise en place d’une déduction fiscale dans les années 1990. Un cadeau qui me choque car il pénalise les plus démunis, non imposables. En fait, chaque fois que le service public délaisse l’une de ses missions, le marché s’en empare. Et cela ne peut qu’aggraver encore la fracture scolaire.
« L’école doit dispenser du soutien hors des heures de cours »
Cette industrie s’érige en « contre-modèle » : cours individualisés, rodage des techniques d’apprentissage... Ce qui fait défaut dans le service public ?
C’est l’image qu’elle véhicule, surtout ! Sur ces aspects, le service public peut mieux faire. Mais il en fait aussi plus qu’on ne veut bien le dire ! Et, même si Dominique Glasman note que deux tiers des parents observent un progrès dans les performances de leurs enfants avec les cours payants, on a du mal à en évaluer l’efficacité, faute d’études. La nôtre est la première, officielle, sur le sujet.
Cette « école bis » a prospéré sous la neutralité bienveillante de l’Education nationale. Que va donc en dire le HCEE ?
Nous n’étions pas conscients de l’ampleur du phénomène, qui a progressé à bas bruit. Le HCEE insistera sur une chose : ce qui se monnaie hors de l’école pourrait se faire gratuitement en son sein, sous forme de soutien individualisé ou en petits groupes, encadré par les professeurs ou d’autres adultes. L’école doit dispenser du soutien en dehors des heures traditionnelles de cours, sur des crédits qui peuvent venir de l’Etat, des collectivités locales ou d’associations. Les trois heures par semaine d’aide personnalisée créées par François Fillon sont une bonne avancée. Mais il faudrait aller plus loin, ne pas abandonner ce terrain au secteur marchand. Sans quoi les inégalités continueront de se creuser.