Les quatre jours au piquet
Expérimenté depuis une dizaine d’années, ce dispositif, qui concerne plus d’un million d’élèves, ne suscite plus l’engouement. Les arguments de ses détracteurs gagnent du terrain.
Ce n’est plus un marronnier, c’est un baobab. Le débat sur l’aménagement des rythmes scolaires revient chaque année avec la même assiduité. Dix jours avant la grande rentrée - celle qui concerne presque 80 % des écoliers et accompagne les premiers pas de septembre -, les questionnements qui enveloppent la semaine de quatre jours se font de nouveau entendre. Selon les chiffres fournis par le ministère de l’Éducation nationale, 24 % des écoliers - soit plus d’un million - sont concernés par le dispositif, expérimenté par 32 % des écoles. Pourtant, l’engouement que suscitait cette expérimentation se tasse peu à peu. Alors qu’à la fin des années quatre-vingt-dix, le nombre d’établissements s’engageant dans le dispositif ne cessait de croître, ce nombre stagne, depuis 2000, autour de 20 %.
Dans certains endroits, même, il régresse. Par exemple en Seine-Maritime, où vingt-six écoles ont adopté les quatre jours cette année (lire reportage), contre trente-six l’année dernière, affirme Jean-Charles Huchet, inspecteur de l’académie. Une sorte de lassitude, selon lui. " Réduire le nombre de jours de classe chaque semaine implique de mordre sur les vacances. L’an dernier, certaines écoles ont fini le 13 juillet. " Entre impératifs professionnels et fatigue de fin d’année, ce rabiot d’école s’avère difficile à digérer. Si bien que l’on déplore parfois un taux d’absentéisme non négligeable durant cette période. " L’an dernier, cela m’a poussé à refuser à toute une commune de reconduire l’expérience ", raconte Jean-Charles Huchet. Dans les autres cas, le dispositif a périclité faute d’obtenir un consentement majoritaire lors des conseils d’école.
Car les critiques à l’égard de la semaine des quatre jours se font, si ce n’est plus véhémentes, du moins plus partagées. Les psychologues et autres chronobiologistes ne sont plus seuls à dénoncer l’absurdité de ce mode de fonctionnement. Longtemps isolée, leur voix rencontre aujourd’hui de l’écho. Là encore, la force des décibels varie. Le SNUipp reste réservé. " Nous ne disposons d’aucune étude de grande envergure pour évaluer ce dispositif. Va-t-il dans le sens de l’intérêt de l’enfant ? Nous n’en savons rien ", argumente Gilles Moindrot, porte-parole du syndicat. " De façon empirique, on ne constate aucune amélioration en termes de résultat scolaire ou de résorption de la fatigue. " Au contraire, même. Pour certains élèves, les semaines courtes pourraient être un handicap. " Les enfants en difficultés ont besoin de temps. Or, dans ce cas précis, celui récupéré en juillet ou en août ne compense pas celui rogné de façon hebdomadaire. "
Un point de vue partagé par Jean-Charles Huchet. Au point que l’inspecteur d’académie affirme que si le choix lui appartenait, il mettrait fin à la semaine de quatre jours. " La concentration des cours implique une condensation de la fatigue intellectuelle, ce qui gène certains enfants ", souligne-t-il. La Fédération des parents d’élèves (FCPE) se fait quant à elle bien plus catégorique. Et extrêmement sévère : " Habillage hypocrite ", selon Georges Dupont-Lahitte, président de l’association, qui ne mâche pas ses qualificatifs. " Sous prétexte de remédier à la fatigue des enfants, on procède à un aménagement qui répond avant tout à des desiderata d’adultes ", vilipende-t-il.
Surtout, ce dispositif, lorsqu’il est mis en place sans aucune mesure d’accompagnement périscolaire, s’avère être une inégalité de plus. Alors que les centres de loisirs et autres activités sportives sont encore essentiellement cantonnés au mercredi matin, certains enfants, loin de bénéficier d’un supplément de vie familiale, se retrouvent livrés à eux-mêmes. " Les familles socialement défavorisées sont les premières victimes de cet aménagement ", conclut-il. Un avis partagé par les chercheurs, biologistes ou psychologues, qui travaillent sur le sujet, et critiquent unanimement la semaine de quatre jours. " Cet aménagement sec est une catastrophe ", estime François Testu, psychologue et directeur d’une équipe de recherche. " Dans les ZEP où aucune activité n’est proposée aux enfants, ce temps libre se transforme en un temps d’abandon. " S’il faut vraiment libérer le week-end, insiste-t-il, " inversons, à tout point de vue, le samedi et le mercredi ". Et de dénoncer l’incohérence flagrante du dispositif. " Alors que les trimestres sont trop longs et les journées trop chargées, la semaine de quatre jours conduit à allonger les uns et les autres. " Or, poursuit-il, les rythmicités premières des enfants sont celles de la journée et de l’année. La chose, se console-t-il, commence à être entendue. En 2001, il participait, avec ses confrères de l’INSERM à une expertise collective, laquelle estimait " plus prudent de ne pas généraliser la semaine de quatre jours ". Il semble qu’elle ait eu de l’impact. En 2002, l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) reprenait l’argument de façon plus insistante encore. À voir si les effets suivront. Avant - c’est à souhaiter - la semaine des quatre jeudis.
Marie-Noëlle Bertrand