Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d’être parmi vous, à mi-étape de votre journée de travail.
L’un de mes lointains prédécesseurs écrivait dans une instruction de 1923 : « L’enfant ne peut rien apprendre s’il ne sait pas lire. »
La maîtrise de la lecture est la clef indispensable de la construction personnelle. Elle décide du capital culturel, de l’autonomie sociale et du libre exercice de la citoyenneté...
Et pourtant, des difficultés existent que nous devons - que nous allons ! - combattre...
Tels les « Chevaliers du subjonctif », je vous propose de mener la bataille pour la lecture, pour notre langue, avec détermination et passion.
Car existe-t-il plus beau dessein que de donner à chaque enfant les méthodes et les bases de la lecture, bref les moyens de sa liberté ?!
Dans ses ouvrages, Erik Orsenna nous invite - je cite - à « lire le monde, cette immense bibliothèque et à le donner à lire pour mieux le partager. »
Cette alchimie qui lie la lecture à la connaissance du monde se construit dès l’école primaire.
Or, le constat est connu et ne souffre pas d’équivoque : 15% des enfants qui entrent en 6è ont des difficultés à suivre une scolarité normale, faute de savoir lire et écrire correctement. Parmi ces élèves, la moitié d’entre eux souffrent de difficultés très lourdes. Plus inquiétant encore, il apparaît que les écarts se creusent entre les meilleurs et les plus faibles...
Ces résultats sont contraires à ma conception républicaine de l’égalité des chances... Notre langue n’est pas seulement l’expression de l’unité française ; elle est l’instrument de l’égalité. Au nom de cette égalité, nous allons concentrer nos efforts sur ce qui doit être une priorité de la Nation.
Cette ambition est au cœur du projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’École.
L’École doit être plus efficace, en mettant l’accent sur ce qui est essentiel dans la formation initiale d’un jeune. C’est toute l’idée de socle ; ce socle de connaissances et compétences fondamentales qui devra être impérativement acquis par tous les élèves. Loin d’être un prétendu « SMIC culturel », il répond à l’exigence de qualité et de justice sociale. Au premier rang figure la maîtrise de la langue, dans ses usages oraux et écrits ; elle est pour moi la première des priorités à tous les niveaux de la scolarité... Sans elle il n’y a pas, à mes yeux, d’autres apprentissages possibles !
L’acquisition de ce socle sera régulièrement évaluée, notamment à l’occasion du nouveau brevet qui sera rehaussé au plan national.
Afin de garantir à chaque enfant la maîtrise de ce socle, nous proposons une pédagogie personnalisée et réactive. Un contrat individuel de réussite éducative permettra ainsi à tout élève qui décroche de bénéficier d’un appui adapté.
Dans l’enseignement primaire, ce contrat individuel sera mis en œuvre par les maîtres. Pour renforcer leur action, l’inspecteur d’académie mettra à leur disposition des enseignants ayant acquis une formation complémentaire, des assistants d’éducation ainsi que des médecins et psychologues scolaires.
Au collège, la dotation des établissements comprendra un volet « contrat individuel de réussite éducative », calculé en fonction du nombre d’élèves repérés en difficulté lors des évaluations. Cette aide prendra la forme de 3 heures spécifiques en groupes restreints. Le temps de travail des élèves sera aménagé de façon à leur permettre à la fois de progresser dans les matières où ils rencontrent des difficultés, et de retrouver confiance en eux en développant leurs aptitudes dans une matière où ils sont en situation de réussite. Les itinéraires de découverte peuvent s’intégrer à ce dispositif.
Mais je pense qu’il faut aussi revoir certaines pratiques pédagogiques... Non qu’il s’agisse de s’immiscer dans les initiatives des maîtres mais de veiller à ce que les programmes tels que définis depuis 2002 soient appliqués dans ce qu’ils ont de plus riche.
J’ai conscience qu’il n’est pas aisé de s’approprier une méthode, cela nécessite d’être accompagné et aiguillé... Pour ce faire, de nouveaux outils d’évaluations sont mis à la disposition des maîtres. Depuis cette rentrée, une nouvelle évaluation est ainsi proposée, à titre expérimental, en cours de CE1. Son objectif s’inscrit dans la continuité des actions déjà entreprises pour prendre en charge les troubles du langage...
Mais la difficulté vient principalement du fait qu’il n’existe pas de recherches suffisamment précises sur les démarches et les méthodes par lesquelles les enseignants font apprendre. C’est en ce sens que j’ai confié une mission à Erik Orsenna et à Dominique Borne, Doyen de l’Inspection générale ; j’attends d’eux qu’ils établissent un « état des savoirs » sur les méthodes d’apprentissage de la lecture et qu’ils définissent les contenus d’une formation initiale et continue des professeurs sur l’enseignement de la lecture. Sur la base de leurs travaux, je définirai alors les orientations afin que les méthodes plus efficientes soient appliquées.
Mais les réponses pédagogiques mises en place dans les classes ne sont pas toujours suffisantes pour prendre en charge efficacement certains besoins éducatifs particuliers... Je pense notamment aux troubles spécifiques du langage.
Nous savons aujourd’hui qu’un nombre non négligeable d’élèves connaissent des troubles du développement dont l’origine est complexe mais de mieux en mieux connue. Le plus souvent d’ordre neuro-psychologique, ces troubles handicapent, quand ils n’empêchent pas tout simplement l’apprentissage de la lecture. Ces élèves seraient ainsi au moins 10 % à l’issue de l’école primaire, soit plus de la moitié de ceux qui n’ont pas un niveau suffisant de lecture aux évaluations de 6 e.
La France a tardé à reconnaître cette réalité pourtant connue et ressentie par les familles concernées.
Parce que les troubles de l’acquisition du langage ont été un sujet tabou ? Peut-être.
Parce que la question des méthodes de lecture a été le fruit de polémiques souvent stériles ? Sûrement !
Grâce aux apports de la recherche et aux différentes initiatives telles que celles de l’ONL - et je pense plus particulièrement à la « Conférence du consensus » - le climat s’est apaisé et nous permet de rattraper sereinement notre retard.
Depuis plus de deux ans, nous mettons en œuvre une politique plus efficace et mieux ciblée, notamment au travers de la circulaire du 31 janvier 2002 sur la scolarisation des enfants atteints de troubles du langage... Je sais que des inquiétudes naissent, ici ou là, sur sa pérennité. Je souhaite ici lever toutes les ambiguïtés : la circulaire trouvera toute sa place dans l’architecture définie par le projet de loi d’orientation sur l’avenir de l’École, et prendra même une nouvelle dimension, notamment dans le cadre du contrat individuel de réussite éducative...
D’ores et déjà, des moyens supplémentaires ont été affectés au cycle des apprentissages fondamentaux pour permettre, dans les écoles les plus en difficultés, de créer des conditions favorables pour organiser la différenciation pédagogique. Seule celle-ci est à même d’apporter des réponses adaptées à la multiplicité des besoins. Cette année, ce sont ainsi plus de 5 000 classes qui bénéficient d’effectifs réduits, de l’intervention d’un maître supplémentaire ou encore du soutien d’un assistant d’éducation.
Cette pédagogie différenciée est la première réponse. Elle ne saurait être la seule.
Certains troubles complexes du langage oral et écrit exigent, parfois, une prise en charge spécialisée qui engage les personnels enseignants, en étroite collaboration avec des professionnels de la santé. De la qualité de leur relation, dépendra l’efficacité de l’accompagnement de l’enfant...
Cet accompagnement sera d’autant plus efficace que le repérage des difficultés sera précoce... Il ne faut pas attendre la fin du cycle II pour mettre en place des réponses aux difficultés rencontrées par les élèves ! Aussi, il me semble important de renforcer la place de la maternelle, notamment de la grande section, dans le dépistage et le repérage des élèves fragiles. Un certain nombre de dispositifs existe en la matière ; je souhaite qu’ils soient exploités dans toute leur pertinence.
Pour ce faire, je demanderai un bilan de l’organisation du dépistage précoce effectué par les médecins scolaires ainsi que les conclusions sur l’évaluation des outils existants.
Par ailleurs, il existe aujourd’hui des évaluations spécifiques à la grande section qui permettent de repérer les plus fragiles. Ces outils sont utiles pour cibler les difficultés et les surmonter. Ils doivent être mieux utilisés. Une fois repéré, encore faut-il que l’enfant bénéficie de l’attention nécessaire pour être accompagné dans son parcours d’apprentissage de la lecture.
Ici encore l’éducation nationale ne manque pas de dispositifs... Je pense notamment aux RASED qui aident à la prévention et à la prise en charge de ces difficultés. De même, un certain nombre d’inspecteurs de l’éducation nationale ont mis tout leur savoir-faire au service des maîtres, et bien souvent, en concertation avec les associations de parents.
Mais, j’en ai conscience, des marges de progrès existent.
Sur la formation des enseignants, tout d’abord : on me dit qu’il y aurait au moins un élève par classe atteint de troubles spécifiques du langage. C’est donc chaque maître qui se trouve concerné. Cette préparation à comprendre et à prendre en charge ces difficultés devra être intégrée dans la formation initiale des enseignants. Je veillerai donc tout particulièrement à ce que cette sensibilisation soit inscrite dans le cahier des charges de la formation proposée par les IUFM. À cet égard, les productions de l’ONL seront d’un apport précieux pour en constituer le corpus.
Aux enseignants aujourd’hui en poste, et auprès de qui cette sensibilisation n’a pas été délivrée lors de leur formation, il sera proposé des actions de formation continue sur cette thématique.
Parallèlement à cet effort de formation, je souhaite développer l’information. Pour ce faire, je rééditerai le livret produit par le ministère intitulé « Apprendre avec des troubles du langage ». Utilisé très souvent par les inspecteurs de circonscription dans le cadre de leurs animations pédagogiques, j’en rendrai destinataires les IUFM. Dans cet esprit, je salue l’initiative du Centre national d’éducation et de formation de l’enfance inadaptée qui vient de produire un DVD consacré aux troubles d’apprentissage du langage. J’attends beaucoup de son futur statut d’établissement d’enseignement supérieur qui lui permettra d’être à la pointe de la production d’outils pédagogiques indispensables aux enseignants.
Des progrès sont également à faire dans la mise en œuvre de la circulaire du 31 janvier 2002, notamment en ce qui concerne les examens. Je sais que dans certaines académies sa mise en œuvre tarde à devenir effective... Sachez que je veillerai à sa généralisation afin de garantir l’équité entre les élèves.
La prise en compte des troubles du langage est récente...
Le cadre est fixé ; les outils et les démarches sont affinés ; il faut aujourd’hui consolider notre action.
La loi d’orientation sur l’avenir de l’École permettra d’avancer de manière déterminée dans le traitement des troubles du langage. Cette exigence de réussite pour tous les élèves, dans une école plus juste et plus efficace, nécessitera l’implication de tous. Une démarche de coordination et d’échange avec les familles, les professionnels de la santé et les chercheurs est nécessaire.
Je compte sur les travaux de cette journée et sur les spécialistes de l’Observatoire national de la lecture pour m’y aider.