Résolution n°11 :
Gommer les discriminations négatives dans l’éducation
Commission Hirsch
Plusieurs indicateurs - statistiques et ressentis- tendent à montrer que le système scolaire a de plus en plus de mal à corriger les conséquences des inégalités sociales ou culturelles.
Une étude récente de Davaillon et Nauze Fichet montre des résultats particulièrement inquiétants sur la manière avec laquelle se construit aujourd’hui notre société :
seuls 76 % des jeunes les plus modestes (isolé dans le « groupe 1 » dans l’étude) sont encore en formation initiale 6 ans après l’entrée en sixième contre une moyenne nationale de 90% (soit - 14 points),
3,6 % d’entre eux, contre 1,0 % en moyenne, sont sortis avant d’atteindre la classe de troisième ;
parmi ceux qui sont encore scolarisés, l’orientation dans la voie professionnelle est plus fréquente que celle dans la voie générale ;
même au sein de la voie générale ou technologique, les enfants « pauvres » sont surreprésentés parmi les redoublants du secondaire.
L’étude de Davaillon et Nauze Fichet montre même qu’à résultats scolaires équivalents à l’entrée en sixième, les meilleurs élèves des familles modestes sont nettement moins nombreux à accéder au niveau IV d’étude que les élèves du groupe des familles favorisées (60% contre 79%).
Nous proposons cinq orientations pour lutter contre l’amplification scolaire des inégalités d’origine sociale ou culturelle.
1. Promouvoir la mixité sociale
Les travaux récents d’Eric Maurin montrent un fort effet quartier dans la reproduction de l’inégalité scolaire :
les adolescents dont l’un des parents est diplômé du supérieur vivent dans des quartiers où la proportion d’adultes diplômés du supérieur est en moyenne de 3,5 à 4 fois plus forte que celle des quartiers où grandissent les adolescents n’ayant pas de diplômé du supérieur dans leur familles.
les adolescents dont l’un des parents au moins est diplômé du supérieur vivent en moyenne dans des voisinages où le taux de retard à 15 ans est d’environ 13% ; à l’opposé les adolescents dont l’un des proches est sans diplôme vivent dans des voisinages où le taux de retard à 15 ans est plus de quatre fois plus élevé (56%).
la proportion d’enfants de classe modeste varie de 1 à 3 entre les 10% de collèges les moins populaires et les 10% de collèges les plus populaires. Ils représentent en moyenne 20% des effectifs dans le premier cas et 70% dans le second.
Notre première orientation, peu débattue dans son principe mais jamais mise en oeuvre, consister à redéployer massivement les moyens des Zones d’Education Prioritaires, non seulement pour la conforter mais pour dégager des moyens supplémentaires en moyenne par élève bénéficiaire : plutôt que de saupoudrer les moyens sous forme d’indemnités de sujétion pour les enseignants en ZEP, il faudrait fixer le principe que les élèves de ces quartiers qui cumulent les difficultés devraient bénéficier de moyens de plus de 20% puis 30% (contre 11% aujourd’hui) supérieurs à ceux des quartiers plus favorisés.
Orientation n°1 : Investir en faveur des ZEP, y compris en révisant les conditions de détermination de la carte scolaire Nous proposons aussi de sortir de la logique de carte scolaire pour déterminer le zonage des ZEP et basculer vers des critères fondés sur le niveau de ressources et les résultats scolaires des élèves réellement accueillis dans les établissements (et non pas comme aujourd’hui sur ceux de la population du quartier considéré).
Un investissement dans les ZEP permettrait de réduire substantiellement la taille des classes et d’exploiter ainsi les résultats d’une étude particulièrement concluante de T Piketty sur l’impact scolaire de cette réduction. Car il ne faut pas considérer les résultats mitigés des premières expériences de CP aménagés avec défaitisme : l’idée est bonne, mais l’accompagnement auprès des enseignants est déficient. Au total, on peut se demander s’il ne faut pas véritablement généraliser le système des ZEP et allouer les moyens aux établissements plus seulement sur des critères de volume mais sur la base d’une évaluation de leurs résultats en fonction des caractéristiques sociales de leurs élèves.
Le redéploiement des ZEP doit par ailleurs donner lieu à une politique plus active qu’actuellement de la promotion de la mixité sociale. Plusieurs pistes peuvent à ce titre être rappelées :
l’idée du rapport Thélot de jumelages, par dérogation à la carte scolaire, entre établissements favorisés et défavorisés pourrait donner lieu à un programme de développement dans tous les rectorats ;
son autre idée d’une fermeture brutale des établissements les plus dégradés et d’une réaffectation des élèves dans les établissements de centre ville a également attiré notre attention : nous pensons que, plus modestement, il est nécessaire de redessiner la carte scolaire dont les effets secondaires sont régulièrement dénoncés ; plutôt que de la concevoir à une logique de proximité géographique pour les élèves, le dessin de zones en forme de « camembert », réalisant un véritable liaison entre les centres villes et les périphéries des villes, serait une évolution positive.
2 Lutter contre l’effet du surpeuplement des logements
Environ un tiers des adolescents vivent aujourd’hui dans un logement où l’on trouve plus d’une personne par pièce. Eric Maurin et Dominique Goux montrent que ces adolescents souffrent deux fois plus souvent de retard scolaire que les adolescents vivant dans un logement où l’on compte moins d’une personne par pièce. Ce lien de causalité joue massivement puisque près de 18 % des adolescents de 15 ans cohabitent à plusieurs dans une même chambre et que plus de la moitié des enfants appartenant aux 10 % des familles les plus pauvres sont dans cette situation.
Au total, ces résultats sont particulièrement frappants : plus du tiers des enfants qui ne disposaient pas d’une pièce pour faire leurs devoirs au calme quand elles avaient onze ans sont sorties sans diplômes du système éducatif.
Orientation n°2 : Avoir une réelle ambition de mixité sociale dans la création des internats de réussite éducative dans les lycées La mise en évidence par E Maurin et d Goux d’un lien causal entre surpeuplement des logements et échec scolaire doit conforter l’idée balbutiante des pouvoirs publics de construire des internats de réussite éducative : cette politique, qui exige d’être mise en oeuvre finement, doit être une véritable occasion de construire de la mixité sociale et d’affecter certains élèves de quartiers défavorisés dans des établissements de centre ville, à condition que les internats ne soient pas conçus comme des internats de pauvres ou d’élèves difficiles mais véritablement comme des établissements dont la population refléterait la composition sociale de la population générale. Il nous semble ainsi que ces internats doivent concerner des établissements de centres villes et être ouverts aux jeunes des quartiers périphériques.
3 Investir précocement dans la réussite éducative
Davaillon et Nauze Fichet ont estimé l’impact relatif de chaque étape du système scolaire sur la probabilité pour un jeune d’accéder au niveau IV de formation six ans après l’entrée en sixième. Ainsi, alors que le taux d’accès au niveau IV des enfants de milieu défavorisé est de 33 points inférieur à celui des enfants les plus favorisés, le résultat de ces simulations montre que, sur ces 33 points d’écarts : 27 points (81 %) se sont produits avant le collège, 3,5 points (11 %) se sont produits au cours des années de collège, 2 points (6 %) se sont produits lors de l’orientation en fin de collège, 0,5 point (2 %) se sont produits pendant le lycée.
Bref, la réussite éducative se joue déjà aux premiers âges.
L’étude impute notamment ces résultats à la politique de redoublement à l’école élémentaire. Elle montre que 38 % des jeunes de familles défavorisées redoublent à l’école élémentaire, soit une proportion plus de deux fois plus importante que la moyenne (17 %). A chaque niveau de l’enseignement primaire, les enfants des familles les plus « pauvres » ont été les plus nombreux à redoubler. La différence est particulièrement nette au CP.
L’impact du redoublement en primaire sur la reproduction sociale de l’échec scolaire est d’ailleurs solidement documenté par ailleurs. Dans l’enseignement public, 7,2 % des élèves de CP et 19,5 % de ceux de CM2 ont un an ou plus de retard. Les disparités sociales sont fortes. Parmi les élèves entrés au collège en 1995, 95,2 % des enfants de cadres et 97,9 % des enfants d’enseignants sont parvenus au CE2 sans avoir redoublé ; ils ne sont que 73,8 % chez les enfants d’ouvriers non qualifiés et 69,5 % chez les enfants d’inactifs. Cet impact se retrouve d’ailleurs au collège, où les écarts entre groupes sociaux sont encore plus importants : 95,6 % des enfants d’enseignants entrés en 6e en 1995 sont parvenus en 4e générale trois ans plus tard (contre 91,9 % pour ceux entrés en 1989) ; pour les ouvriers non qualifiés, les pourcentages sont de 56,3 % contre 54,6 %.
Cette politique délibérée de redoublement, qui vise à préserver l’exigence élitiste de notre système scolaire, a tout de l’absurde : un rapport récent de JJ Paul et Troncin montre en effet qu’elle ralentit considérablement les parcours sans bénéfice pour les élèves considérés et qu’elle a un coût très important pour le système éducatif (en gonflant les classes). Les moyens affectés à la répétition des scolarités pourraient en effet être redéployés vers une plus grande personnalisation des parcours, au bénéfice de tous. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, la France, comme les Etats-Unis, semble s’être enfermée dans des pratiques dont les effets en terme de performance de lecture sont pour le moins douteux.
Il nous semble ainsi qu’un investissement important et précoce dans l’apprentissage de la lecture est le levier le plus efficace de prévention de l’illettrisme. Mieux vaut prévenir que guérir.
Orientation n°3 : Donner toute leur portée aux dispositifs de réussite éducative en en faisant un élément d’une politique de réduction des taux de redoublement en primaire Notre troisième orientation s’appuie sur les futurs dispositifs de réussite éducative. Des moyens nouveaux (1,5 Md € sur cinq ans) ont été dégagés pour financer des structures ad hoc dont la mission sera de financer les vacations d’enseignants, d’éducateurs, d’animateurs, de travailleurs sociaux, de psychologues, de pédopsychiatres, de rééducateurs, intervenants sportifs et culturels pour renforcer l’accompagnement des élèves repérés comme en difficulté.
Nous pensons que ces dispositifs doivent être fortement connectés avec le dispositif d’accompagnement social à l’école. Il nous semble essentiel que dans les établissements pilotes les fonds sociaux (63M€) soient mis à la disposition des nouvelles équipes, dont les personnels du service social de l’école seraient une cheville ouvrière.
Nous pensons par ailleurs que ces dispositifs doivent permettre de développer de nouvelles approches pour aller à la rencontre des parents des enfants en échec scolaire.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la combinaison avec le système scolaire, et notamment les nouveaux contrats de réussite éducative, de ces nouvelles équipes. Cette connexion nous semble importante notamment pour que ces équipes se fixent des objectifs de résultat en matière de réduction du taux de redoublement des établissements bénéficiaires.
4 Créer des incitations financières au maintien dans le système scolaire
Chaque année, 60 000 jeunes (soit 8% d’une classe d’âge) sortent du système scolaire au moment du lycée sans aucun diplôme. Au total 20% d’une classe d’âge est dépourvu de qualification. Ce chiffre est constant depuis 1995, alors que la loi d’orientation de juillet 1989 prévoyait la disparition des sorties sans qualification à l’horizon 2000.
Cette catégorie connaît pourtant des difficultés d’insertion professionnelle particulièrement marquée. Alors que le taux de chômage des sans diplômes de moins de 25 ans était de 2,4% en 1970, il est aujourd’hui de 44,5%.
Les évaluations qui ont lieu lors des journées d’appel de préparation à la défense (JAPD) auprès des jeunes de 17 ans montrent une augmentation du nombre de jeunes en grande difficulté en lecture. La première enquête signalait que un peu moins de 10 % des jeunes avaient de réelles difficultés de compréhension à l’écrit (4% ne possédant pas « les connaissances indispensables à l’acte même de lire », à savoir la maîtrise des mécanismes de base de la lecture et la connaissance des codes élémentaires de l’écrit, et étant dans une situation pouvant déboucher sur l’illettrisme). Ils étaient 9% l’année suivante (dont 5 % proches de l’illettrisme), plus de 11 % en 2000 (dont 6,5% proches de l’illettrisme) et 12 % en 2001 (dont 6 % proches de l’illettrisme).
Les conséquences sociales d’une non maîtrise de la lecture sont multiples et leur étude exhaustive n’a jamais été conduite. Il fait toutefois peu de doute que le coût social global des sorties sans diplôme du système éducatif est bien supérieur aux coûts qu’impliquerait un accompagnement plus intensif des enfants en situation d’exclusion scolaire.
Notre quatrième orientation consiste à se donner les moyens de répondre à l’objectif affiché dans la récente loi d’orientation sur l’école de mettre fin aux sorties sans diplôme du système scolaire. On ne saurait en effet trop insister sur le caractère collectivement et individuellement contre-productif de ces sorties qui une fois sur deux conduisent au chômage ou un emploi bien moins rémunéré.
A ce titre, des travaux d’E Maurin et T Xenogiani sur les effets de la suppression du service national montrent une forte sensibilité des jeunes aux incitations financières au maintien dans le système scolaire. En observant les différences de taux de scolarisation des 18-23 ans entre les jeunes hommes nés avant la réforme et ceux nés après la réforme et en comparant ces différences avec celles observées pour les jeunes filles sur la même période on peut vérifier très simplement si la diminution de l’intérêt objectif de poursuivre ses études a eu un effet quelconque sur les comportements des garçons. On note en effet une baisse d’environ 7% des taux de scolarisation entre 18 et 20 ans tandis que pour les filles aucune tendance n’est repérable. Une analyse plus approfondie révèle que ce sont les fils des classes populaires dont le comportement vis-à-vis de l’école a le plus changé après la réforme.
Orientation n°4 : Expérimenter diverses formules d’incitation financière au maintien dans le système scolaire après 16 ans Récemment les autorités anglaises ont expérimenté un dispositif de soutien financier en direction des familles modestes ayant des enfants de 16-19 ans encore scolarisés : une allocation (Education Maintenance Allowance) d’environ 150€ par mois leur est proposée pour les aider à financer la poursuite des études de leurs enfants. La comparaison des zones pilotes avec les zones n’ayant pas bénéficié du dispositif a révélé que le soutien financier accroît significativement la poursuite des études des enfants d’origine modeste (un accroissement de 6 points des taux de participation de la classe d’âge a été observé). Le gouvernement a ainsi récemment décidé en septembre 2004 de généraliser le bénéfice de cette allocation.
Nous proposons ainsi que la France expérimente également diverses formules de ce type. Notons que le coût en plein régime de la prestation anglaise, de l’ordre de 750 M€ pour le versement à un enfant sur 5, est équivalent au coût actuel des bourses du secondaire.
Par ailleurs, les bourses scolaires continuent de mal couvrir certains frais, tels que les frais liés à l’éloignement pour les études. Il pourrait ainsi être réorienté d’une part sur l’incitation financière précitée et d’autre part sur la couverture des frais d’éloignement.
5 Lutter contre l’illettrisme
Selon l’INSEE, 12 % des personnes résidant en France métropolitaine éprouvent aujourd’hui des difficultés face à l’écrit. La moitié des personnes qui se sont arrêtées sans obtenir le certificat d’étude ont des difficultés face à l’écrit, soit 19% des 55-65 ans ; par contre, seuls des 4% des 18-24 ans sont concernés par ces difficultés. L’école permet ainsi de réduire l’occurrence de l’illettrisme de façon rapide. En plus de sa prévention, qui passe certainement comme nous l’avons indiqué par de nouveaux moyens de réussite éducative, se pose alors la question de son traitement hors du système scolaire.
La création de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) a, en 2000, visé à structurer davantage les actions publiques de lutte contre l’illettrisme.
La commission a notamment considéré qu’une diminution très conséquente de l’illettrisme devait être l’un des sous-objectifs prioritaires de l’action des pouvoirs publics pour réduire le nombre de familles pauvres.
L’INTÉGRALITÉ DU RAPPORT HIRSCH : La nouvelle équation socialePDF - 862.5 ko