Pierre Mathiot est directeur de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Lille. Après avoir suivi le même modèle que l’IEP de Paris, son établissement mène depuis janvier 2007 une politique d’accompagnement aux concours de Sciences Po avec des lycées de ZEP de la région. Il revient pour 20minutes.fr sur le plan Sarko pour l’égalité des chances...
Alors, ces annonces de Nicolas Sarkozy ?
J’ai l’impression qu’il est un peu coincé, on sent une difficulté de positionnement. Il fait à la fois le rappel des contraintes posées par la Constitution, qu’il ne peut pas modifier avec les termes quotas et discriminations. Et en même temps, la personne qu’il nomme, Yazid Sabeg, n’a jamais caché combien il était favorable à la discrimination positive... Nicolas Sarkozy jongle entre un souci d’efficacité à court terme et la prudence du long terme, en évitant de mettre en place des dispositifs qui fassent exploser un modèle républicain déjà fragile.
Que pensez-vous des 30% de places en classes prépa aux grandes écoles réservées aux boursiers ?
Je suis dubitatif. Qu’est ce que ça veut dire ? On donne des consignes au recteur, aux directeurs d’établissement, point ? C’est d’une grande imprécision. Pour quel travail en amont, quel accompagnement sur la durée avec ces jeunes ? Et puis quels boursiers exactement ? Il y a 30% de boursiers dans l’enseignement secondaire, deux fois plus dans l’enseignement supérieur.
Ces 30% ne vous plaisent pas...
A l’IEP de Lille, depuis janvier 2007, nous avons mis en place un système bien différent et assez ambitieux. On travaille avec 57 lycées du Nord-Pas-de-Calais. On accompagne des lycéens depuis la classe de première. Ce sont des gens de milieux modestes. Il y a 35% de boursiers parmi eux. Car le problème n’est pas uniquement le revenu des parents. Le handicap est aussi socio-culturel. Prenez le fils d’un maçon d’origine maghrébine. Son père travaille d’arrache-pied, il ramène assez d’argent à la maison, le fils n’est pas boursier. Mais ses parents sont illettrés, et il est pénalisé sur le plan socio-culturel. Le handicap économique et le handicap culturel ne sont pas toujours liés.
Concrètement comment ça se passe cet accompagnement ?
Il faut être constant sur la durée, cela représente quatre à cinq heures par semaine pour les élèves. Avant, cela ne concernait que les Terminales, mais désormais, on commence en Première, on s’est aperçu qu’il fallait travailler encore plus en amont. Ce sont des études intégrées, ce n’est pas Sciences Po qui vient chercher des petits pauvres. Des professeurs de l’IEP exercent un tutorat régulier, il y a un site Internet où les élèves peuvent échanger et bloguer, il y a un concours blanc à l’IEP. Et aussi une semaine d’internat, où l’on accueille les élèves, qui viennent de toute la région, de Maubeuge à Dunkerque.
Et le fameux concours ?
Ils passent le même concours que tout le monde. Sur les 115 élèves de terminale accompagnés l’an passé, 82% ont eu le bac avec mention, 22 % rentrent à l’IEP (alors que la moyenne est de 10% sur l’ensemble des candidats), 50% vont en classe préparatoire Hypokhâgne. Surtout, ils rentrent par la grande porte, ils font des dossiers pour aller en prépa, ils progressent. Ce n’est pas humiliant comme d’aller dans une classe prépa spéciale à Henri IV.
C’est leur réussite personnelle....
Oui. Si on veut que les 30% de boursiers en classe prépa soient une mesure qui fonctionne, il faut préparer les jeunes dès le lycée. Imaginez un boursier, vous lui annoncez en terminale : « tu peux aller là grâce au quota ». Il va se dire : « Il y a de la lumière, j’y vais. » Il ne sera pas prêt pour autant, il va se faire massacrer. Au contraire, si on l’accompagne en amont, il sera pris sur son travail et son talent scolaire, c’est plus valorisant. Et il crée aussi un modèle d’exemplarité pour ses camarades.
Pas forcément convaincu par le modèle de Sciences Po Paris, avec un concours adapté ?
Il ne faut pas que le système soit dérogatoire. Les épreuves sont plus faciles pour les élèves de Zep, cela infériorise ces gamins, alors que bien accompagnés, ils peuvent rentrer avec le concours classique.
Mais il y a moins de garanties dans votre système... Oui, au départ, on n’a aucune certitude sur le nombre qui va réussir. Ce n’est pas aussi sexy que la discrimination positive, sur le court terme. Alors que Nicolas Sarkozy souhaite des résultats rapides, ce qui est compréhensible. Mais il faut faire attention à ne pas marquer les esprits avec des mesures à forte valeur ajoutée symbolique. On gagne au début, on perd au final. Il faut un système solide. On voit aux Etats-Unis que l’affirmative action a eu des résultats au départ avant de s’essouffler. Aujourd’hui, les Etats du pays abandonnent cette discrimination positive un par un.
Le fossé entre élèves peut se creuser ?
L’appui qu’on apporte à des élèves ne doit pas être ressenti comme une discrimination par les non-boursiers. J’ai parfois des étudiants qui viennent me voir parce qu’ils ne comprennent pas que certains bénéficient d’aide alors qu’eux triment. La discrimination positive peut créer des divisions, ce n’est pas forcément l’image donnée de l’intégration parfaite...
Un concours de Sciences avec moins de culture général et d’anglais, les deux épreuves les plus discriminants entre milieux aisés et pauvres, comme le recommande le chercheur Patrick Weil, c’est possible ?
On ne fait plus d’épreuve de culture général, mais de questions contemporaines sur des thèmes précisés à l’avance et que les élèves peuvent préparer. Pour l’anglais, surtout pas de note éliminatoire. Mais vous savez, beaucoup d’élèves sont pénalisés dans le concours par leurs problèmes en français. Et c’est notamment là que l’accompagnement dès le lycée, voire le collège, est fondamental.
Philippe Huguen AFP/Archives ¦ Etudiante en sciences politiques sortant d’un isoloir le 12 avril 2007 à Lille lors d’une simulation de vote
Recueilli par Mathieu Grégoire