Pas d’alcool pour les moins de 18 ans

Pas d’alcool pour les moins de 18 ans par MM. Batel, Dubois, Hirsch, et Karsenty

LE MONDE | 28.04.08

Depuis soixante ans, les Français boivent de moins en moins d’alcool. C’est moins de cirrhoses, moins de cancers et moins d’accidents, au travail, dans les transports ou dans la vie courante. Cependant, les responsables publics seraient mal avisés de refermer ce dossier avec soulagement, car les problèmes reviennent avec une inquiétante acuité. Chacun le sait, par la presse, par les jeunes de son entourage ou par l’observation directe des centres-villes en fin de semaine : la fréquence des ivresses d’adolescents connaît une hausse rapide.

Deux enquêtes témoignent de ce fait préoccupant. Les ivresses répétées (au moins 3 fois par an) concernaient 20 % des jeunes de 17 ans en 2002 et 26 % en 2006, soit un accroissement de 30 % en quatre ans ! Quant aux ivresses "régulières" (au moins dix fois dans l’année), la progression est de 52 % ! De plus, en 2006, parmi les jeunes scolarisés de 15 ans, un garçon sur cinq et une fille sur huit ont déclaré au moins une ivresse au cours du dernier mois.

"Binge drinking", "biture express", "défonce minute", décrivent ce nouveau modèle nordique ou britannique de consommation d’alcool. Tout semble avoir déjà été dit sur ce sujet, mais cette glose nous laisse insatisfaits, car elle n’explique rien et laisse entendre qu’il reste encore de la marge avant de commencer à s’inquiéter sérieusement.

Le dispositif actuel d’interdiction de vente d’alcool aux mineurs est illisible et incompréhensible.

Il tient compte de deux limites d’âge (16 et 18 ans), de deux façons d’acheter les boissons alcooliques (consommation sur place ou à emporter), de deux types de boissons (celles où l’alcool est obtenu par fermentation et celles où il résulte de l’opération complémentaire de distillation).

Ce dispositif est de plus sans fondement. Il repose, d’une part, sur la fiction selon laquelle les achats à emporter ne seraient ni destinés à l’acheteur, ni à une consommation hors du domicile familial. Il accrédite, d’autre part, l’erreur archaïque de considérer comme différentes les molécules d’alcool selon qu’elles sont produites par fermentation ou par distillation.

La preuve a été apportée que la complexité des dispositions d’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs est contre-productive. Elle génère chez les débitants un vaste éventail d’interprétations sur les alcools dangereux ou non, sur les âges concernés, sur l’obligation de connaître l’identité des jeunes acheteurs. Ainsi, il est assez fréquent que les débitants croient que la bière échappe à l’interdiction de vente aux moins de 16 ans.

Il est donc urgent d’agir, d’autant que la première mesure à prendre est d’une simplicité radicale. Il suffit de faire passer l’interdiction de vente de tous les alcools et en toutes circonstances de 16 à 18 ans.

Cette réforme pourrait être présentée immédiatement au Parlement, en ayant le courage d’éviter une pseudo-concertation dilatoire avec le lobby de l’alcool. Personne ne peut s’opposer, en vérité, à cette simplification de la loi en vue d’une meilleure lisibilité et d’une meilleure application.

Que l’on s’entende bien : il ne s’agit pas de demander aux jeunes de vivre et de penser comme des vieux. La prise de risques sera toujours plus élevée à 17 ans qu’à 40 ans. En revanche, il est intolérable que la société des adultes exploite le goût du risque des enfants et des adolescents pour se remplir les poches, comme elle le fait impunément, en leur proposant des produits dont ils ignorent la réelle nocivité quand ils les consomment pour la première fois.

Interdire toute vente d’alcool aux moins de 18 ans, mesure nécessaire, ne devrait être que le début d’un mouvement de dénormalisation de l’alcool qui n’est pas un produit alimentaire ordinaire, comme chacun en convient. Expliquer pourquoi les adultes doivent s’interdire d’en vendre ou, pire encore, d’en fournir gratuitement aux mineurs, dussent leurs tiroirs-caisses en souffrir, n’est pas très compliqué. Encore faut-il le faire sans attendre de comptabiliser de plus grands dégâts.


Philippe Batel, médecin addictologue Gérard Dubois, professeur de médecine, Université de Picardie, Amiens Albert Hirsch, vice-président de la Ligue contre le cancer Serge Karsenty, sociologue au CNRS, Faculté de droit, Nantes

mis en ligne le lundi 28 avril 2008
par ML



  
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