La carte scolaire perd ses premiers atouts
vendredi 8 juin 2007
Éducation . Les autorisations de déroger à la sectorisation seront portées à 20 % dès septembre, selon des critères précisés par le ministre. Une belle pagaille s’annonce.
Le jeu semble donc abattu. Conformément à ce qu’a déclaré, à peine nommé, le ministre de l’Éducation nationale, les premières mesures d’assouplissement de la carte scolaire entrent en vigueur. Le taux de dérogations accordées devrait être porté à 20 % dès la rentrée prochaine, contre environ 10 % actuellement.
Les critères ont été précisés afin de déterminer quelles seront les familles prioritaires. On y retrouve ceux déjà : des dérogations continueront d’être accordées aux élèves nécessitant une prise en charge médicale importante, à ceux désirant suivre un parcours scolaire particulier (via les options, par exemple) ou dont un frère ou une soeur se trouve déjà scolarisé dans l’établissement souhaité.
Comme le préconisait la réforme des ZEP mise en oeuvre en septembre 2006, les élèves boursiers méritants pourront, eux aussi, demander à choisir leur école.
Nouveauté, en revanche : ce sera désormais le cas des bénéficiaires d’une bourse sur critère social et des enfants handicapés. Enfin, les cas de domiciliation en limite de secteur seront étudiés (1). Pas plus d’élargissement pour l’heure : il s’agit, avant tout et selon les services ministériels, d’attirer l’attention sur ces critères et d’obliger à les faire respecter.
Les mêmes perdants
L’annonce de cet assouplissement a-t-elle encouragé les vocations à déroger ? Quinze jours après les déclarations de Xavier Darcos, les effets n’en sont pas encore mesurables. Plus forts, à coup sûr, en zones urbaines qu’en zones rurales, traditionnellement peu concernées par le contournement scolaire. Ainsi, Paris, championne en la matière depuis longtemps, semble bien connaître une hausse des demandes. Quant à la Seine-Saint-Denis, département où cohabitent établissements de bonne et de mauvaise renommée, les conséquences paraissent encore très timides.
« Pour le moment, on ne note rien de particulier », estime la principale d’un collège posé au coeur d’un ensemble de cités. Angoisse des années collèges - période de transition où le sentiment que tout se joue pousse les familles à plus de vigilance -, mauvaise réputation du quartier alentour : « La fuite, notamment vers le privé, était déjà sensible et je n’ai pas le sentiment que les demandes aient crû », poursuit-elle. Quoi qu’il en soit, elles ne sont plus quantifiables, « les commissions de dérogation (ayant) eu lieu avant l’annonce du ministre ». Et si celui-ci fait savoir que de nouvelles demandes pourront-être déposées jusqu’au 30 juin, « aucun texte n’ayant été publié au Bulletin officiel, nous en restons au statu quo », assure la principale.
Au siège départemental de la FCPE, en Seine-Saint-Denis, on note de légers remous. « Nous recevons des coups de fil de parents qui veulent connaître la moyenne de tel ou tel établissement », relève Michel Hervieu, président de la structure. Ce qui ne va pas sans l’inquiéter.
« Ces mesures vont faire rêver pas mal de parents qui espèrent le meilleur pour leurs enfants. » Une aspiration légitime, estime-t-il, sans partager la stratégie gouvernementale. « Plutôt que d’assumer sa responsabilité de faire réussir tous les élèves, l’État privilégie une démarche individuelle. Mais il y aura des perdants et ce seront toujours les mêmes », estime-t-il.
800 élèves de moins
Enseignant en collège et responsable du SNES de Seine-Saint-Denis, Clément Dirson partage le même diagnostic. Alors que le taux d’évitement était déjà flagrant dans le département - près de 800 collégiens en moins que prévu, en 2006, au profit du privé et des départements limitrophes -, la tentation d’aller vers un établissement de meilleure réputation a peu de chance de se tarir. « Tous les parents veulent une école de qualité pour leurs mômes », relève-t-il. « Mais le gouvernement répond à cette attente par de fausses solutions : dire "vous avez le choix" sous-entend "tout le monde n’y aura pas le droit". » Et de conclure, alors que les tractations profiteront toujours aux familles les mieux informées : « On prétendait lutter contre le contournement scolaire et la ghettoïsation qu’il engendre. On ne fait que le légitimer. »
(1) En ligne sur le site du ministère de l’Éducation nationale ww.education.gouv.fr
L’Humanité du 6 juin 2007