"L’exemple-type de la fausse bonne idée"
mardi 29 mai 2007
Qu’est-ce que la carte scolaire ? Pourquoi vouloir la supprimer aujourd’hui ?
La carte scolaire existe depuis 1963. Elle attribue un établissement à un lieu géographique. En d’autres termes, pour les collèges et lycées, les élèves se voient affectés dans un établissement proche de chez eux. Les mesures sont en général plus souples en ce qui concerne les écoles primaires. Ceux qui veulent supprimer la carte scolaire développent deux arguments. Premièrement, ils s’opposent à une concentration forte qui fait qu’en liant un territoire à un établissement, on relie une certaine population sociale à un établissement. Deuxièmement, ils affirment que les dérogations favorisent déjà les élèves les plus favorisés.
Les détracteurs de la carte scolaire voient en elle une "hypocrisie". Il y aurait 30% de tricheurs qui obtiendraient une dérogation pour changer d’établissement sans motif valable. Qu’en est-il réellement ?
Il n’y a jamais eu 30% de dérogations ! On surestime la triche, même si c’est vrai qu’il faut faire respecter l’ordre. En réalité, 30% des parents choisissent d’inscrire leur enfant dans un établissement qui n’est pas celui de leur secteur. Mais cela prend en compte les 20% d’élèves qui s’inscrivent dans le privé, ce qui n’a rien à voir avec la carte scolaire. Pour eux, l’assouplissement ne changera rien. Reste un tiers seulement de prétendus "tricheurs" - dont 8% à Paris. Parmi eux, certains dérogent pour de bonnes raisons : pour que leur enfant soit plus près de là où ils travaillent, par exemple. On ne connaît pas la proportion de ceux qui trichent vraiment.
Il n’y en a pas plus de 5%, majoritairement des enseignants, ce qui est un scandale. On s’aperçoit d’ailleurs que ce sont plutôt les milieux favorisés qui dérogent. En fait, il n’y a pas plus de gens qui dérogent que de gens qui grillent des stops. Or, on ne supprime pas les stops ! Pourquoi généraliser le désordre quand on peut faire respecter l’ordre ?
Quels sont les principaux risques de cette suppression, annoncée par le ministre Xavier Darcos "d’ici 2010" ?
On sait que cette suppression de la carte scolaire va bénéficier aux gens favorisés qui habitent des lieux de mixité sociale - car il y a encore de la mixité sociale dans ce pays. Mais on sait très bien qu’il n’y aura pas d’afflux populaire dans les collèges favorisés.
Les élèves des quartiers dits difficiles ne vont pas changer d’établissement, et ce pour beaucoup de raisons, parfois complexes, comme "ce n’est pas notre milieu", etc. Le problème se pose cependant pour les collèges défavorisés qui, eux, vont voir leurs meilleurs éléments partir vers d’autres établissements. Les établissements des quartiers huppés vont ouvrir les vannes pour recruter les bons élèves. C’est de la ségrégation puissance 10. Cette suppression est l’exemple-type de la fausse bonne idée. Ce n’est pas en assouplissant la carte scolaire qu’on va résoudre les problèmes de ségrégation spatiale.
Une question se pose : concrètement, comment le gouvernement va-t-il garantir la mixité sociale après cette mesure ? Cela va augmenter un peu la mixité dans les établissements favorisés, mais pas dans les autres, au contraire. Tout cela n’est qu’une vaste hypocrisie. C’est de la démagogie pure et simple et personne n’ose rien dire. Il y a d’autres solutions que cet assouplissement : il faudrait d’abord faire respecter la règle, puis redécouper la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale. On peut améliorer la situation autrement dans les établissements réputés difficiles.