samedi 19 mai 2007
Marie Choquet est épidémiologiste, directrice de recherche à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Entretien.
Vous dites que les ados d’aujourd’hui ne sont pas tellement différents de ceux d’hier. Pourtant, ce n’est pas l’image qu’ils renvoient.
On porte sur eux un regard beaucoup plus pointu. On attend tellement d’eux la perfection que chaque écart est vécu comme un excès. Or, si on prend la consommation de tabac et d’alcool, on constate qu’elle a globalement diminué, comparé avec ce qui se pratiquait il y a dix ans, vingt ans ou plus.
Cette génération va plutôt bien ?
Ceux qui sont en difficulté vont plus mal qu’hier.
Personnellement, trois choses m’inquiètent. D’abord, l’augmentation de la dépression chez l’adolescent. Et les études montrent qu’elle va perdurer à l’âge adulte. Autre fait : l’importance du cannabis. L’usage festif existe, certes. Mais nous avons aussi 10 % de consommateurs quotidiens. Et pour une petite minorité, vulnérable, il y a des risques de troubles psychotiques qui peuvent être définitifs. Enfin, ma dernière inquiétude concerne les filles.
Autre constat : l’absence de différences entre les jeunes urbains et les jeunes ruraux. Comment l’expliquez-vous ?
On assiste à une homogénéisation de la jeunesse, qui gomme les différences géographiques. On a longtemps pensé qu’avec le beau ciel bleu et l’herbe verte, les ruraux n’avaient pas de problèmes. Que rien ne pouvait leur arriver. Or, la campagne ne protège plus des conduites à risques, loin de là. On y consomme davantage de tabac et d’alcool. Et sur la violence, si on rapporte les données à la population, on enregistre une diminution des faits en Zep, ce qui n’est pas vrai ailleurs. Or, c’est aussi en Zep qu’il y a eu le plus d’actions de prévention. D’une certaine façon, on a peut-être oublié les ruraux. On a été moins attentifs à leurs problèmes.
Peut-on dire que la catégorie socioprofessionnelle des parents n’a pas de conséquences sur le mal-être des ados ?
Oui. On ne voit pas de lien entre le chômage et les troubles de comportement. Il n’existe pas de déterminisme socio-économique, ce qui est plutôt rassurant. Aujourd’hui, il est même évident que les facteurs humains ont davantage de poids que les seuls facteurs sociaux et matériels. La mauvaise qualité des relations enseignants/élèves ou parent/enfant ou jeune/adulte s’avère prépondérante pour expliquer les troubles des adolescents. Être enfant de divorcés et élevé par sa mère n’est pas, en soi, un élément perturbateur pour l’enfant. Je trouve important de le dire, car on a culpabilisé des tas de parents divorcés, notamment les mères. Or, ce qui va compter, ce n’est pas le statut, mais la stabilité du statut.
Si la qualité des relations s’avère prépondérante, cela signifie aussi que la prévention passe par un travail sur le climat familial ?
Le pire, c’est d’avoir des parents absents et indifférents, d’éprouver le sentiment que l’on n’existe pas, que l’on ne compte pas. Les adolescents ont besoin de stabilité relationnelle et de discours clair. En matière de consommation de substances, par exemple, les parents de milieu ouvrier ont une vision plus tranchée de l’éducation. Ils interdisent plus. Les parents diplômés de l’enseignement supérieur sont davantage dans la négociation, la transaction. Or, sur des sujets graves, il ne faut pas hésiter à dire nettement : « Je ne veux pas ». Il ne faut pas craindre le conflit. Il permet aussi de dire qu’on existe les uns pour les autres.
Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, par Marcel Rufo et Marie Choquet, éditions Anne Carrière, 514 pages, 20 €.
Marie Choquet est épidémiologiste, directrice de recherche à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Marcel Rufo est pédopsychiatre, spécialisé dans les rapports famille/enfant. Il dirige, depuis octobre 2004, la maison des Adolescents, à l’hôpital Cochin à Paris.
C’est un lieu de prévention et de prise en charge médicale des adolescents en souffrance, mais aussi un centre d’enseignement et de recherches sur les pathologies rencontrées à cet âge.
Ouest-France du 18 mai 2007