Les premières amours de leurs adolescents laissent parfois les parents démunis. Ils s’inquiètent, sans toujours être à l’aise pour aborder la question. Que dire ou ne pas dire ? Doit-on poser des limites, des règles, voire des interdits ? Accepter que l’ami(e) dorme sous le toit parental ? Et comment se comporter face au chagrin d’amour ? Autant de questions et de situations auxquelles tout parent est confronté un jour ou l’autre.
Face à son aîné de 18 ans, peu prolixe sur ses relations amoureuses, Catherine a adopté une attitude respectueuse et attentive à la fois. "On sent qu’il a envie de prendre ses marques. Il n’est pas introverti, disons plutôt que c’est sa vie, explique-t-elle. Je ne suis pas curieuse. Si je l’étais, je perdrais sa confiance."
Le jeune homme n’amène pas de petites amies à dormir sous le toit familial quand ses parents sont là. Mais à l’été 2006, ces derniers lui ont laissé la maison un week-end, puis dix jours. "C’est évident qu’il a amené sa petite copine", sourit sa mère.
Avec sa fille de 15 ans, Catherine avoue être très ennuyée. "Je sais qu’elle a un petit ami, mais je ne sais pas si elle a eu des relations sexuelles avec lui, dit-elle. Aborder la question est difficile. J’attends le moment opportun." Acceptera-t-elle que sa fille amène son petit copain dormir à la maison ? "Je lui dirai : "D’accord mais il dort dans la chambre de ton frère."" admet-elle.
Et si elle insiste pour dormir avec lui ? "Je l’autoriserai sûrement, sinon ils iront le faire ailleurs et en cachette. Ce n’est plus notre petite fille, il faut l’accepter", reconnaît Catherine.
Dans un monde où les adolescents sont souvent très protégés par leurs parents, leurs amours et leur engagement dans une relation affective sont l’occasion de s’éloigner du cocon familial. Une autonomie pas toujours facile à conquérir. "C’est vraiment le moment, pour les parents, de se faire discrets, car l’adolescent a besoin de cette présence en retrait pour investir d’autres personnes et s’engager dans des liens amoureux", écrit la psychoclinicienne Béatrice Copper-Royer dans Premiers émois, premières amours (Albin Michel).
Face aux histoires amoureuses de leur progéniture, "les parents peuvent éprouver rivalité et jalousie vis-à-vis du petit ami qui leur prend leur enfant", explique Alain Braconnier, psychiatre et psychanalyse. "C’est un sentiment naturel, temporise ce chef de service de la consultation pour adolescents du centre Philippe-Paumelle à Paris. Il ne s’agit pas de le nier mais d’en prendre conscience. Le comprendre, c’est déjà le soigner."
Alain Braconnier insiste sur la nécessité de se garder de toute "attitude ambiguë" vis-à-vis de son enfant. "Plus que jamais, une adolescente a besoin de trouver chez son père des attitudes, des comportements et des paroles qui lui évitent toute confusion, écrit-il dans Les Filles et les pères (Odile Jacob). Elle a besoin d’un amour respectueux." Un regard, des remarques, des gestes de tendresse devenus déplacés peuvent choquer durablement l’adolescente.
Jouer la complicité, la proximité, la camaraderie entre parents et enfants n’est pas non plus approprié. "Chacun doit savoir rester à sa place générationnelle, considère Béatrice Copper-Royer. Dans mon cabinet, je reçois des adolescentes qui jugent pathétique de voir leur mère essayer de leur ressembler."
Rester à sa place de parent, c’est aussi continuer d’assurer, quand il le faut, un rôle protecteur, sans craindre le conflit. "Il faut savoir interdire une relation avec une personne qu’on jugerait dangereuse, qui met en péril la scolarité, la vie sociale ou la santé, explique Alain Braconnier. Les adolescents en seront, plus tard, reconnaissants à leurs parents." Quel degré de liberté accorder à ses enfants ? Sur ce point, il n’existe pas de réponses toutes faites, mais les parents ont tout à gagner à se remémorer comment s’est passée leur propre adolescence. "Un père ou une mère dont les parents étaient très rigides risque d’avoir la réaction inverse et de laisser son enfant trop libre, analyse Alain Braconnier. A l’inverse, des parents à l’adolescence tumultueuse risquent d’être trop sévères." Faut-il laisser le flirt de son enfant dormir à la maison ? "Nous n’avons pas, en tant que professionnels, d’éléments pour répondre oui ou non à cette question, estime le psychiatre. Quelle que soit leur décision, les parents doivent être à l’aise avec. Si cela les gêne, qu’ils l’expliquent à leurs enfants. C’est un âge où l’authenticité est primordiale." Et quand survient un chagrin d’amour, les parents doivent faire preuve de la plus grande attention. "Il est capital de ne jamais banaliser la déception amoureuse en prétextant que cela n’est pas grave", insiste Marie Choquet, épidémiologiste et spécialiste des adolescents dans Regards croisés sur l’adolescence (Anne Carrière). Cet accident de la vie est cité par 48 % des adolescents qui font une tentative de suicide comme un événement perturbateur, après les mésententes graves avec les parents. "Un adolescent nous rassure sur son avenir quand il a pu être amoureux, vivre une déception et retomber à nouveau amoureux", conclut Alain Braconnier.
Martine Laronche Article paru dans l’édition du 18.04.07.