Carte scolaire : la fin d’un tabou, par François Dubet et Marie Duru-Bellat

Pourquoi remettre en question la carte scolaire ?

Pour une grande partie du territoire, cela ne se pose guère. En revanche, dans les grandes villes, la carte scolaire ne contribue certainement pas à l’égalité des chances devant l’école. Pour deux grandes raisons. La première vient du fait que les inégalités sociales entre les territoires se sont creusées et que la carte scolaire les reflète et les cristallise. La seconde tient au fait que tous ceux qui le peuvent, dans le privé ou dans le public, fuient les établissements jugés "difficiles".

A terme, la carte scolaire finit par obliger les plus démunis à se concentrer dans les établissements que les autres délaissent. Il est vain de reprocher à ces parents "stratèges" leur égoïsme et leur absence de civisme dès lors qu’ils désirent légitimement que leurs enfants accèdent à la meilleure école possible et qu’il est vrai que la qualité des établissements pèse lourdement sur la réussite des élèves. Ceux qui prétendent l’inverse sont parfois trop idéalistes ou quelque peu hypocrites car il est rare que le problème se pose à eux dans leur quartier. Dès lors, il n’y a pas à être scandalisé par la remise en question de la carte scolaire et l’on peut même se féliciter que les réalités s’imposent pour une fois aux slogans et aux principes que les pratiques trahissent tous les jours.

Cependant, il ne suffit pas de dénoncer la carte scolaire pour proposer une politique et, plus encore, une politique plus juste que celle que l’on condamne. La seule suppression de la carte scolaire serait probablement un remède pire que le mal. En effet, on imagine aisément que, comme sur n’importe quel marché, les acteurs ayant le plus de ressources et d’informations s’en tireront nettement mieux que les autres et que, une fois encore, les plus démunis auront moins de choix, moins d’opportunités et moins encore de chances de réussir dans l’école. D’ailleurs les pays qui ont choisi cette solution de "rupture" ont vu les inégalités s’accroître, et s’accroître aussi la délinquance, la marginalité, les fossés entre les groupes sociaux et les cultures. Et il est peu probable que le niveau s’élève ! Si l’on peut se féliciter de la chance offerte à quelques bons élèves d’accéder à des établissements de qualité, la question reste celle des conditions d’éducation offertes à tous et notamment aux plus faibles.

La carte scolaire ne pouvant être défendue en l’état, il importe de proposer des réponses capables d’améliorer sensiblement l’égalité de chacun devant l’éducation. Rappelons que la carte scolaire n’est ni sacrée ni intangible, et rien n’interdit de redéfinir les secteurs scolaires de manière à ce que la "mixité sociale" soit plus grande dans l’école que dans les quartiers. Ne nous cachons pas cependant que cette solution aura des limites. Les équilibres politiques seront souvent bousculés et bien des responsables locaux résisteront à ces redécoupages. De plus, rien n’empêchera les parents qui le souhaitent de continuer à contourner ces secteurs tant qu’ils penseront qu’ils ont de bonnes raisons de le faire.

Les familles qui ont le choix accepteront les contraintes des secteurs scolaires quand elles n’auront plus le sentiment que certains établissements pénalisent la scolarité de leurs enfants parce que les équipes enseignantes y sont moins stables, souvent moins expérimentées, parce que les exigences scolaires y sont plus faibles, parce que les désordres scolaires y sont plus grands, parce que les options "prestigieuses" y sont absentes... Les familles reléguées dans les établissements les plus difficiles se sentiront moins captives, moins maltraitées par l’école quand celle-ci leur offrira la même qualité d’éducation qu’à tous. Ceci suppose que l’abandon des obligations de la carte scolaire soit compensé par un effort considérable en faveur des établissements aujourd’hui les plus défavorisés.

En ce domaine, il faudra sans doute aller bien plus loin que ne l’ont fait les ZEP. En termes de moyens sans doute, mais aussi dans la gestion du personnel enseignant, la capacité du système d’évaluer et de soutenir le travail de l’école afin que la qualité de l’offre devienne une obligation pour la société et un droit pour chaque élève. A l’heure où l’on parle tant de la nécessité de rétablir la confiance dans l’école, il faut peut-être moins penser en termes d’autorité et de discipline qu’en termes de justice et d’équité de l’offre scolaire.

L’enjeu n’est donc pas de savoir si l’on est pour ou contre la carte scolaire, tant il est évident qu’elle couvre de grandes injustices, mais il est de savoir ce que l’on fait après. Et là, il peut y avoir une véritable opposition entre la droite et la gauche.


François Dubet est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Marie Duru-Bellat est chercheur à l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu/CNRS).

Article paru dans l’édition du 09.09.06

mis en ligne le samedi 9 septembre 2006
par ML



  
BRÈVES

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