La carte scolaire, une hypocrisie

jeudi 7 septembre 2006

La mobilité des enfants des cités vers les écoles du centre-ville est essentielle pour briser les ghettos urbains et assurer l’égalité républicaine.

Par Fadela AMARA Fadela Amara présidente du mouvement Ni putes ni soumises.

Souvent abordée, rarement traitée sur le fond, voici que surgit en pleine rentrée scolaire (et politique) la question de la carte scolaire. Se voulant l’un et l’autre sur le terrain du pragmatisme, bousculant leur propre camp, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ne se sont pas privés de rentrer frontalement dans le sujet ces derniers jours. L’un voulant une suppression pure et simple de la carte, l’autre préconisant son aménagement ou son assouplissement.

En ce sens, le débat est salvateur, tant la question de la carte scolaire est tout aussi primordiale que teintée, dans son traitement politique, de la plus grande mauvaise foi au nom du dogme et de l’égalité républicaine, battue en brèche par l’inégalité sociale.

A sa création, en 1963, lors de l’instauration des collèges d’enseignement supérieur (CES), la carte scolaire partait d’un bon sentiment. Il s’agissait de rapprocher les élèves de leur domicile et de lutter contre un enseignement à deux vitesses, avec d’un côté les bahuts pour riches, et de l’autre ceux pour pauvres, et, en conséquence, créer les conditions d’une véritable mixité sociale. Mais cela, c’était en 1963 !

Aujourd’hui, force est de constater que la réalité est inverse. Avec l’échec de la mixité sociale, pour laquelle aucune politique volontariste n’a été engagée, la carte scolaire est devenue l’une des plus grandes hypocrisies de notre système éducatif. En effet, comme le dénonce Ni putes ni soumises depuis 2003, elle est un facteur de relégation lorsque l’on habite une cité ghetto où se concentrent la plupart des difficultés sociales et éducatives. Or « cité ghetto » signifie aussi « école ghetto ». Dans les grandes périphéries, cette carte est souvent contournée par ceux-là même qui la défendent, qui ont les moyens ou des relations et qui déploient des stratégies pour inscrire leurs enfants dans les établissements plus réputés. Certains parlent d’un taux d’évitement de la carte scolaire de plus de 35 % pour les collèges.

Libération, dans son édition d’hier, relate comment les parents d’élèves cherchent, via les forums de discussion, à mutualiser leurs expériences pour inscrire leurs enfants dans un établissement autre que celui auquel ils sont affectés : tricher sur l’adresse, faire de fausses promesses d’embauche, sans compter le sacro-saint piston.

Il ne s’agit pas là de blâmer ces parents, car il est, soyons francs, bien normal de vouloir soustraire son enfant à un environnement difficile, voire violent et susceptible de handicaper son épanouissement et son cursus scolaire.

Oui, l’hypocrisie suffit ! Dans les grandes villes, la carte actuelle est génératrice d’inégalités. Pour autant, sa suppression pure et simple n’entraînerait qu’une libéralisation sauvage du système, avec pour conséquence un enseignement à deux vitesses. Son maintien en l’état actuel ne fait que promouvoir la ghettoïsation. Oui ! Une refonte de la carte est nécessaire ! Mais celle-ci ne peut se faire que dans le cadre d’une redéfinition globale de notre politique d’urbanisation, par le respect et le renforcement notamment de la loi SRU, qui oblige les collectivités territoriales à la construction de logements sociaux.

L’école n’est pas un sanctuaire. Elle vit au rythme des villes et de leurs habitants. C’est dans le cadre d’une politique de la ville qui prendrait en compte l’humain et le bâti que cette réforme doit être menée. Nous devons, à l’image du busing aux Etats-Unis, créer les conditions d’une véritable mobilité de nos enfants, de leur domicile vers les écoles du centre-ville. C’est là le seul moyen pour les filles et les garçons d’échapper à l’enfermement de la cité et d’acquérir les bases de leur émancipation.

Ce débat est révélateur de la difficulté qu’ont les Français à vivre ensemble quelles que soient leurs origines sociales.

L’égalité républicaine n’est pas un slogan, une marque que l’on brandit sur les estrades des campagnes électorales. Elle obéit à la nécessité de promouvoir une politique volontariste débarrassée de tous les dogmes et clichés, qui met au coeur le citoyen et qui protège le plus faible.

Avis aux intéressés ! Nos enfants valent bien mieux que des postures préélectorales et pseudorépublicaines, auxquelles on tourne le dos une fois élu !

Libération du 7 septembre 2006

mis en ligne le jeudi 7 septembre 2006
par ML



  
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