ZEP A la recherche du superprof

Ils sont censés faire bouger le métier pour mieux venir en aide aux élèves en difficulté. Mais chez les syndicats enseignants, l’idée passe mal

D’abord j’ai dit non, le descriptif du poste était trop flou. Puis finalement je me suis lancée, puisque personne ne se décidait » : au collège Utrillo, dans le 18e arrondissement, à Paris, logé entre périph et grands boulevards, Marianne, 44 ans, professeur d’anglais, sera donc professeur « référent » à la rentrée.

Un des mille superprofs que le ministère compte installer dans 246 collèges estampillés « ambition réussite », pour y aider les élèves en perdition et assurer bien d’autres tâches encore. Mais qu’il les nomme « référents »,« expérimentés » ou juste « supplémentaires », le ministère rame. Les candidats, professeurs des écoles, capésiens ou agrégés, ne se bousculent pas. A ce jour, seule la moitié des postes est pourvue. « Personne ne sait où on va ni ce qu’on va faire », reconnaît Marianne. Son collègue Henri, 53 ans, professeur de maths, vingt-huit ans passés à Utrillo, est un futur référent lui aussi. Il tente de résumer le cahier des charges : « J’aurai quatre à six heures de cours et, le reste du temps, je pourrai aider mes jeunes collègues, harmoniser la progression des cours pour les troisièmes, proposer de la formation en informatique aux professeurs qui le souhaitent, définir les compétences de base en maths, travailler par petits groupes avec les sixièmes... » La liste est longue. Un superprof à tout faire, en somme ?

« C’est un nouveau métier », confirme le principal du flambant neuf collège Elsa-Triolet à Champigny (94). Comme ses collègues chefs d’établissement, il a la tâche de définir les missions de ces professeurs, trois ou quatre par collège. « Ces postes apportent un peu de souplesse dans la machine, et nous en avons besoin. »

Assis à côté de lui dans son bureau, deux heureux élus : Chantal, professeur de lettres, 50 ans, et Eric, professeur de maths, 29 ans. Cinq ans tout juste dans l’éducation prioritaire. « Je travaille déjà avec des écoles primaires sur la lecture, ce statut me donne plus de temps pour aider les élèves en perdition », explique Chantal. Quant à Eric, il réfléchit déjà avec ses collègues à la meilleure manière d’enseigner les mathématiques en sixième, pour que les élèves ne soient pas trop dépaysés par rapport à l’école. Mais pas question de jouer au petit chef avec les collègues. Ah, les collègues ! Il ne faut surtout pas les brusquer. Dans la définition générale de poste, le ministère aurait pu rajouter « recherche personnalité consensuelle ayant du doigté ». Car ces profs nouvelle manière vont avoir à créer du liant dans une profession où l’on pratique plutôt le chacun pour soi : donner un coup de main à un jeune collègue, monter des projets communs, créer des partenariats avec l’extérieur... « Ces profs référents doivent être très solides, sinon ils n’auront aucune légitimité auprès de leurs collègues », analyse une inspectrice d’académie, qui parle de « fosse aux lions ». « Les candidats n’ont pas tous le profil, constate Pierre Polivka, chargé du dossier au ministère. Ceux qui n’avaient pas l’expérience, dont le niveau était insuffisant ou qui ne voyaient là que l’occasion de faire moins d’heures devant les élèves ont été écartés d’emblée. » Mais, faute de candidats, il va falloir faire un deuxième tour de table. Les exigences seront-elles revues à la baisse ? C’est que tout s’est bouclé très vite, laissant des grandes zones d’ombre. Ces enseignants, combien de temps vont-ils travailler ? « Une trentaine d’heures de présence au collège », avance Pierre Polivka. Eric, le professeur de maths, qui pensait en rester à ses dix-huit de service comme capésien, tombe de l’armoire. Autre souci : où vont-ils pouvoir travailler, passer leurs coups de fil ? « Je ne sais pas où les mettre », reconnaît la principale du collège Utrillo. Seule certitude : pas d’augmentation de salaire, juste un coup de pouce à leur carrière. Et comme on navigue à vue, la possibilité de retrouver son ancien poste au bout d’un an. S’il y en a pour se réjouir, comme le syndicat des chefs d’établissement, d’autres boycottent carrément le dispositif. Le Snes, syndicat enseignant majoritaire, dénonce la création d’un statut hors normes. Avec l’Unsa, l’autre bastille syndicale, ils critiquent aussi la manière d’habiller Pierre en déshabillant Paul, puisque, pour financer ce millier de superprofs, les quatrièmes et cinquièmes de tous les collèges de France perdent une demi-heure de cours par semaine. Sur le terrain, la colère surgit parfois. « Rien que l’expression « professeur référent » hérisse le poil, enrageun professeur de lettres à Clichy-sous-Bois. On se bat plutôt pour une meilleure formation et un statut unique de tous les professeurs.

J’aurais préféré qu’on nous distribue à tous une ou deux heures de concertation incluses dans notre service, pour ces tâches prétendument nouvelles que nous assumons tous ici plus ou moins », explique-t-il. Sans doute. Mais dans les collèges lambda, comment faire évoluer le métier ? Et si le prof référent, c’était comme un cheval de Troie dans la forteresse Education ?

www.nouvelobs.com

Caroline Brizard

mis en ligne le vendredi 16 juin 2006
par ML



  
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