Ne souriez pas, vous êtes fichés

Deux listings de la police et de la gendarmerie recensent 24,4 millions de personnes. Mises en cause ou victimes. Les erreurs sont légion.

par Nathalie RAULIN QUOTIDIEN

La police judiciaire nous fiche. Mais mal. Si mal que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’en offusque discrètement. Hier, lors de la présentation de son rapport d’activité 2005, son président, le sénateur UMP Alex Türk, a passé sous silence une réalité que la Cnil qualifie pourtant de « préoccupation majeure » : l’explosion depuis deux ans du nombre de plaintes de personnes ayant essuyé un refus d’embauche, un licenciement ou un refus de renouvellement d’autorisation de port d’arme (notamment pour les agents de sécurité employés par la RATP ou la police ferroviaire), du seul fait que leur nom apparaît dans les fichiers de la police judiciaire ou de la gendarmerie (Stic et Judex). Explication.


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Enquêtes de moralité. Depuis la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure, les préfectures chargées des enquêtes de moralité exigées pour occuper certains postes sensibles (gardiennage, agents de sécurité...) ont un accès direct à ses listings très spéciaux. Y figurer peut suffire à écoper d’un avis administratif défavorable. « Cette utilisation administrative des fichiers de police judiciaire leur fait jouer, de fait, aujourd’hui le rôle d’un casier judiciaire parallèle, sans les garanties rigoureuses prévues par le code de procédure pénale pour le casier judiciaire national », avertit la Cnil.

Le fichage est massif. Au 31 décembre 2004, 24,4 millions de personnes étaient répertoriées ; 4,1 millions pour avoir été mises en cause au cours d’une procédure pénale, 20,3 millions comme victimes. Précision piquante : ces fichiers sont truffés d’erreurs. Même le ministère de l’Intérieur a dû en convenir : une vaste opération de contrôle des informations contenues dans lesdits fichiers l’a conduit en 2004 à rayer de ses tablettes 1 241 742 fiches de personnes mises en cause...

Bugs. Face à cette situation, la Cnil clame son impuissance, le nombre de saisines excédant « largement » ses capacités de traitement. Ses investigations dans les fichiers de police judiciaire lui font cependant craindre le pire : sur 467 personnes contrôlées par la commission, qui avaient été fichées au Stic au titre des mises en cause, 207 l’étaient indûment. Deux explications : soit le délai de conservation des signalements avait expiré, soit les informations étaient erronées ou non justifiées.

A en croire la Cnil, les bugs sont encore légion. Pour cause, il n’existe aucune liaison informatique sécurisée entre les parquets et le ministère de l’Intérieur. Les infractions peuvent ne pas être correctement qualifiées lors du fichage au Stic. La Cnil a constaté qu’une simple contravention de classe 2 avait entraîné ­ indûment ­ le fichage. Surtout, la mise à jour des fiches en cas de relaxe, d’acquittement, de non-lieu ou de classement sans suite pour insuffisance de charge n’est pas automatique.

Devant le déferlement de plaintes, le ministre de l’Intérieur a tancé ses troupes. Dans une circulaire du 15 avril 2005, il a rappelé aux préfets de police qu’« une simple mention au casier judiciaire ou sur un fichier de police ne saurait conduire à émettre un avis défavorable ». Pas question donc de se contenter d’un appel au ministère ou de la simple recherche d’un nom sur un listing. Mieux, les fonctionnaires sont invités à apprécier la pertinence des éléments mentionnés au fichier, « leur gravité, leur ancienneté, les suites judiciaires qui, le cas échéant, leur ont été données, et leur éventuelle répétition ».

Et le pire est à venir. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, la loi Sarkozy a renforcé le rôle et l’ampleur des fichiers de police judiciaire. Ainsi, le décret du 6 septembre 2005 a étoffé la liste des enquêtes administratives permettant de fouiner dans ces fichiers. Plus inquiétant : un décret attendu dans les prochaines semaines va étendre les motifs d’enregistrement au Stic à « l’ensemble des contraventions de cinquième classe contre les biens, les personnes, la nation, l’Etat ou la paix publique ».

En clair, la vente forcée par correspondance, l’abandon d’épaves, de déchets de matériaux et autres objets transportés dans un véhicule, l’altération ou la contrefaçon de timbre-poste ou de timbre fiscal, etc., vaudront fichage au Stic. « Une extension qui n’apparaît aucunement justifiée », estime la Cnil. Avis défavorable pour loi mal fichue.

mis en ligne le mercredi 19 avril 2006
par ML



  
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