Les modalités de l’abandon de la méthode globale doivent être précisées cette semaine.

L’apprentissage de la lecture corrigé

Les modalités de l’abandon de la méthode globale doivent être précisées cette semaine. Cette décision fait débat

La « méthode globale » va-t-elle être définitivement mise à l’index ? Après l’annonce, la semaine dernière par Gilles de Robien, de l’abandon de cette méthode d’apprentissage de la lecture, le ministère de l’éducation nationale devrait publier dans les jours qui viennent une circulaire afin de préciser les conditions de l’abandon définitif de cette méthode qui repose sur une mémorisation des mots et non pas sur un décodage syllabique et dresser une liste des manuels scolaires à proscrire dans les écoles.

Le problème est que pour justifier son choix, le ministre s’appuie sur une étude complète et inédite dont les conclusions prouveraient l’efficacité des « méthodes syllabiques ». Or, les auteurs de ce rapport, resté confidentiel, ne se sont pas reconnus dans les propos de Gilles de Robien. Commandé par le précédent ministre, François Fillon, le rapport remis en juin dernier est le résultat d’un an de travail mené par l’Observatoire national de la lecture (ONL) et l’inspection générale de l’éducation nationale. Soit une quarantaine des meilleurs spécialistes français et étrangers.

Son président, Erik Orsenna, ne comprend pas que le ministre réveille une querelle idéologique selon lui dépassée. « Après un travail de fond qui fait la synthèse de plus de trente ans de recherche, nous sommes parvenus à un bilan mesuré. L’opposition entre le syllabique et le global est aujourd’hui largement dépassée. De nombreuses avancées ont été faites et nous sommes parvenus à un consensus sur les bonnes pratiques », explique-t-il.

Beaucoup d’enseignants sont trop souvent perdus ou mal équipés

Au cours de ces dernières années, les spécialistes du langage se sont accordés sur les processus d’acquisition de la maîtrise de la langue. Concrètement, l’une des clés de l’accès à la lecture repose sur la maîtrise des mécanismes et des codes qui permettent de faire le lien entre les graphèmes (les lettres ou les groupes de lettres) et les phonèmes (les sons). Cependant, apprendre à déchiffrer est indispensable mais pas suffisant. Le rapport remis au ministère insiste donc sur trois points : l’apprentissage passe à la fois par l’identification des mots, la compréhension du sens et l’entrée dans le texte. À partir de là, reste à savoir s’il existe une méthode précise pour apprendre à lire.

En 2003, une « conférence de consensus » réunissant les spécialistes dans ce domaine dressait déjà un premier bilan. « La seule méthode qu’on doive écarter est la méthode dite idéo-visuelle parce qu’elle refuse le travail systématique sur la correspondance » entre les lettres et les sons, précisaient les experts. Toutefois, ils refusaient de trancher entre deux grandes « familles de méthodes » : celles qui partent du sens du texte pour aller vers un décodage phonétique et celles qui font le chemin inverse. Tous les experts insistent en revanche sur la nécessité de combiner le travail sur le déchiffrement et sur le sens. « Le point délicat est le dosage entre les deux », concluait la conférence.

L’offensive du ministre de l’éducation serait donc hors sujet. Car il s’agit moins aujourd’hui de rechercher une méthode « miracle » ou de réhabiliter le bon vieux b.a.-ba, que de traduire les progrès de la recherche pédagogique dans le travail quotidien des instituteurs. Sur le terrain, beaucoup d’enseignants sont trop souvent perdus ou mal équipés. Et les spécialistes reconnaissent que l’état de l’enseignement de la lecture à l’école n’est pas satisfaisant. Certains professeurs utilisent encore des principes d’inspiration « globale » pour entrer dans la lecture. Beaucoup tâtonnent, bricolent.

"Beaucoup de bruit pour rien"

Les déclarations de Gilles de Robien ont fait « beaucoup de bruit pour rien », regrette Alain Bentolila, membre de l’ONL. « Le cours préparatoire est un moment important et la méthode d’apprentissage compte. Mais affirmer que le problème de la lecture se réduit à cela ressemble à un slogan pour brosser les parents dans le sens du poil. » Le linguiste insiste sur d’autres points. En amont de l’école, un « vrai programme de maîtrise de la langue en maternelle n’existe pas », regrette-t-il. De plus, la formation des enseignants reste selon lui insuffisante : « À l’IUFM de Paris, les futurs professeurs des écoles n’ont que dix-huit heures dans l’année sur l’apprentissage de la lecture ! »

Un membre de l’inspection générale reconnaît que la formation est très inégale en qualité. Dans certains IUFM censés être à la pointe du progrès, les approches « globales » et des concepts pédagogiques dépassés sont encore de mise. Et les experts insistent sur le problème du décrochage qui s’opère entre l’école et le collège. En agitant le spectre de la méthode globale, Gilles de Robien a envoyé un signal fort de sa volonté de faire bouger les choses. Mais sa circulaire devra démontrer comment on peut généraliser les pratiques vertueuses en tenant compte de la diversité des élèves.

À sa demande, Erik Orsenna a été reçu vendredi 9 décembre au cabinet du ministre. Il dit avoir reçu l’assurance que la circulaire ne se limitera pas à imposer une méthode syllabique. Et le ministère s’est engagé à rendre public le rapport de l’ONL. Mais l’écrivain prévient : « Si le ministre décide de suivre une politique contre ses experts, j’en tirerais toutes les conséquences. Sur un dossier aussi technique, il serait scandaleux de prendre la lecture des enfants en otage de combats idéologiques. »

Bernard GORCE

LA CROIX

mis en ligne le dimanche 11 décembre 2005
par ML



  
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