« Notre pédagogie met en cause le système »

Catherine Ouvrard, militante de la méthode Freinet, revient sur les réticences de l’Education nationale : « Notre pédagogie met en cause le système »

Par Marie-Joëlle GROS - 22 août 2005 Liberation

Depuis le 19 août et jusqu’à demain, les militants de la pédagogie Freinet sont réunis en congrès à Valbonne (Alpes-Maritimes). L’Institut coopératif de l’école moderne (Icem) a choisi la « complexité » comme thème principal de cette rencontre. Si la pédagogie Freinet touche grosso modo 5 000 enseignants, son approche, comme celle de tous les mouvements pédagogiques, reste maintenue à l’écart des grands choix de l’Education nationale. A quelques jours du début de ce colloque, Catherine Ouvrard, secrétaire nationale de l’Icem, revient sur la place accordée par l’institution aux pédagogies innovantes.

L’ambition de la pédagogie Freinet ­ l’expression de l’enfant, la construction des connaissances plutôt que l’accumulation des savoirs ­ semble convaincante. Comment expliquer qu’elle ne s’impose pas davantage ?

Certains points de notre pédagogie sont mis en oeuvre ici ou là : les conseils d’enfants ou le fonctionnement par cycle, par exemple... Mais, souvent, l’institution se contente de picorer à l’intérieur, cherchant des solutions ponctuelles plutôt que d’innover réellement. C’est dénaturer la pédagogie Freinet, qui est une globalité, nécessitant une organisation spécifique, en classe coopérative. Aujourd’hui, une vingtaine d’écoles réussissent à fonctionner en « équipe Freinet ». Et il existe des classes Freinet dans toutes les régions, que ce soit en milieu rural ou urbain, mais toujours dans le public. Quelques IUFM (formation des maîtres) accueillent aussi des militants Freinet en tant que formateurs. Pour un certain nombre d’enseignants, jeunes ou moins jeunes, Freinet reste attractif. Mais si les mouvements pédagogiques ont énormément à apporter à l’école, on se contente souvent de nous consulter. Ou alors nous sommes seulement perçus comme un recours pour des cas difficiles. Il existe à l’évidence une volonté politique de ne pas ouvrir largement l’école aux pédagogies innovantes.

Pourquoi un tel refus ?

L’autoorganisation et la coopération que nous défendons sont rarement dans l’air du temps, que les gouvernements soient de droite ou de gauche. Car notre pédagogie remet en cause trois bases du système : le pouvoir hiérarchisé, la compétition individuelle et la nécessité d’une élite. Déjà, au début des années 30, Célestin Freinet avait dû sortir du système éducatif pour créer son école. Freinet a ouvert l’école de Vence après avoir été mis à pied par l’Education nationale. L’institution scolaire est profondément élitiste. Elle abandonne sans état d’âme au bord du chemin ceux qui refusent cette logique.

Notre pratique va à l’encontre de ces mises en concurrence qui sont redoutables, autant pour les individus que pour la société. Certains gouvernements sont cependant moins frileux que d’autres à notre égard. En ce moment, ce n’est pas la joie : Ferry et Fillon ont eu une approche totalement contraire à la nôtre. La loi d’orientation de 1989 nous correspondait davantage quand elle plaçait l’enfant, et pas l’élève, au centre du système.

Et qu’est devenu le Conseil national de l’innovation créé par Jack Lang en 2000 ?

Rien. C’était juste un os à ronger. Quelques projets d’établissement ont vu le jour malgré tout à Brest, près du Mans, dans le Cantal, souvent pour accueillir les exclus du système. Mais quantité de projets sont passés à la trappe. C’est rageant quand élèves, parents et profs sont près du but. En général, les projets capotent quand il manque l’aval du conseil d’administration de l’établissement d’accueil ; ou parce qu’on ne trouve pas de locaux, etc. Par exemple, un collège aurait dû ouvrir à la rentrée en Vendée autour d’un projet innovant. Mais les profs volontaires sont obligés de céder leurs places à ceux qu’il faut absolument nommer là parce que leur établissement ferme...

L’essentiel des écoles Freinet se concentre sur l’élémentaire, or il y a beaucoup à faire au collège, tout le monde le sait. Mais l’administration, du haut en bas de l’échelle, freine des quatre fers devant nos propositions. Si l’Education nationale refuse de prendre en compte les mouvements pédagogiques, c’est un choix politique et philosophique.

mis en ligne le lundi 22 août 2005
par ML



  
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