L’obésité infantile sous le poids des lobbies

Par Julie LASTERADE Liberation

Ils se sont battus jusqu’au bout. Pour que leurs distributeurs de boissons et de friandises ne soient pas expulsés des écoles à la rentrée, ils auront tout tenté. Des heures de tractations et un seul objectif : que les élus fassent retirer l’amendement de la loi de santé publique qui interdit à la rentrée prochaine les distributeurs automatiques dans les écoles. Les professionnels de la distribution automatique avaient un an pour se retourner et trouver d’autres clients. Ils l’ont passé à essayer de convaincre, de persuader, de négocier. Il aura fallu que l’Assemblée nationale ferme ses portes, au sens propre, pour qu’ils lâchent prise (lire ci-dessous).

Mais la loi de santé publique, pourtant votée l’été dernier, n’est pas sauve. Il est encore un chapitre qui déplaît particulièrement dans la lutte contre l’obésité infantile. Celui qui prévoit d’obliger les industriels de l’agroalimentaire à inclure dans tous leurs messages publicitaires, télé ou radio, une « information à caractère sanitaire ». Ou à payer une contribution « au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ». Le message d’information sanitaire a été choisi, ses caractères d’impression, sa taille aussi. Le montant de la contribution a été fixé. Le décret n’a plus qu’à être signé. Il doit entrer en vigueur début 2006. La position du ministère de la Santé est ferme. « Le décret est solide, affirme un conseiller technique du ministre de la Santé. C’est une solution très originale. Dans certains pays, il y a une interdiction pure et simple » de faire de la publicité pendant les émissions enfantines.

Négociateur. Mais cette fois-ci, plus question de petits syndicats de la distribution automatique. Ce sont les poids lourds qui montent au créneau. Leur négociateur : Jean-René Buisson, auparavant chez Danone et maintenant président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). Ces jours-ci, il devait encore rencontrer Xavier Bertrand, ministre de la Santé. Toujours pour le convaincre d’alléger le dispositif avant de signer le décret. « Nous sommes fermement opposés à la loi telle qu’elle est parue », expliquait-il avant la rencontre.

Alors les réunions entre les ministères de l’Agriculture, de la Culture et de la Santé continuent. Le premier subit la pression de l’industrie agroalimentaire, le second celle des annonceurs et le dernier celle des nutritionnistes et des médecins. Officiellement, les trois ministères montrent une « position unie ». « Plus une voix ne s’élève pour dire qu’il ne faut pas ce décret », confie-t-on à la Santé. Mais « il y a des avis divergents autour de la table », lâche un autre responsable.

Dans quel état le décret va-t-il ressortir des négociations ? « Les industriels s’attaquent à chaque point, confie un proche du dossier. C’est exténuant. Ils se battent sur tout, sur les termes du message, la forme, la taille du bandeau. A la marge, ils vont finir par gagner des petites choses. »

Mais le chocolatier Ferrero et consorts espèrent plus. Un message positif, par exemple. Le « Pour protéger votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré et trop salé. Consommez au moins cinq fruits et légumes par jour et pratiquez une activité physique régulière » sélectionné leur paraît « long et compliqué » : « Une contrainte lourde.

Il n’est pas utilisable. Sa taille est trois fois supérieure aux bandeaux publicitaires pour l’alcool. » « Il va lasser », pronostique Ferrero. Pourquoi ne pas se contenter de promouvoir une activité physique et la consommation de fruits et légumes ? Et puis, « on espère que le message occupera moins que les 20 % de l’écran prévus », continue Ferrero. La loi prévoit en effet de faire défiler le texte sur les écrans télé, à la radio et lors des actions de promotion. Pour le ministère de la Santé, cela inclut Internet et la presse écrite. Pas pour l’Ania.

Quant à la contribution financière, « nous refusons tout principe de taxation », prévient Jean-René Buisson. Pour l’instant, le décret prévoit que les industriels versent 1,5 % des sommes qu’ils auraient normalement investies dans la publicité. « Ce taux a déjà été divisé par trois, rappelle Jean-Marie Le Guen, député PS et président du groupe d’études sur l’obésité à l’Assemblée nationale ; l’amendement proposait une contribution à 5 %. »

Fondation. Jean-René Buisson préférerait « financer une fondation et même mettre plus d’argent que ce que prévoit la taxe, mais à condition que cela soit reconnu comme une action de la profession ». Leur fondation piloterait des recherches, des campagnes d’information. « On commence par faire fonctionner ce que l’on a défini », rétorque-t-on fermement au ministère de la Santé, qui espère ainsi doter l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) de moyens de communication « proches de ceux d’une grande compagnie alimentaire ». Les plus optimistes estiment que la cagnotte pourrait s’élever à 20 millions d’euros par an. Les plus prudents, qu’elle ne dépassera pas les 5 millions d’euros, le montant d’une seule campagne promotionnelle.

Partenariat. Mais « les industriels se battent pour faire cette économie », constate un négociateur. Dommage, « certaines grosses boîtes pourraient trouver un bénéfice, en terme d’image » à adhérer au projet proposé. L’Ania en est bien consciente, les grosses firmes aussi. Elles réclament haut et fort « un partenariat ». Les autorités sanitaires sont plutôt pour. Au ministère de l’Agriculture, on insiste : « Il faut une mobilisation sans faille de tous les acteurs. » Au ministère de la Santé aussi : « Si on veut que cela marche, il faut que les industries de l’agroalimentaire acceptent la politique d’éducation à la santé. »

Mais dans les milieux sanitaires, on flaire le piège : « Ils seront d’accord sur tous les principes, mais dès qu’il s’agira d’écrire "attention à ne pas manger trop sucré ou gras", ils s’opposeront. » Pour montrer leur bonne volonté, les plus puissants avancent qu’ils ont supprimé d’eux-mêmes les écrans publicitaires des plages horaires où les enfants sont seuls devant la télé. Ferrero consacre 95 % de ses publicités aux adultes. Kraftfood assure ne faire aucune pub au petit déjeuner et « très peu le mercredi ». Même politique chez Coca-Cola, « jamais aux heures des émissions enfantines ou le dimanche matin. Jamais de mise en scène d’enfants de moins de 12 ans ».

Un nouveau marché s’ouvre à eux, celui des demi-portions, des produits sans sucre, des recettes moitié moins grasses ou moins sucrées. Les plus petites entreprises auront plus de mal à se retourner, et les producteurs de sucre risquent de mal le prendre. L’Ania doit les défendre aussi. Et Jean-René Buisson a un dernier espoir. « Le ministre de la Santé a changé. Le directeur de la Santé a changé. Le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments va changer. Ce sont des éléments positifs. » Le projet de décret changera-t-il aussi ? A la Santé, on reste vigilant. « S’il ne ressemble plus à rien, on aura perdu ce pari et menti au citoyen. »

mis en ligne le vendredi 8 juillet 2005
par ML



  
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