La France refuse de copier sur son voisin

Andreas Schleicher, de l’OCDE, revient sur le système d’évaluation des systèmes scolaires.

La France refuse de copier sur son voisin

Par Emmanuel DAVIDENKOFF (Liberation )

L’avis que le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HCEE) s’apprête à rendre public sur « la France et les évaluations internationales des acquis des élèves » confine au brûlot altermondialiste. Selon un document de travail, dont Libération a eu connaissance, le HCEE devrait agiter une double menace pour inciter l’Education nationale à prendre au sérieux les évaluations internationales des systèmes éducatifs. Le succès croissant de ces travaux menés sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tend « à ériger [son] approche en modèle universel de mesure de la finalité des systèmes éducatifs ». Comme cette approche serait « souvent d’inspiration plus anglo-saxonne que latine », la France risquerait « de se voir imposer des modèles étrangers dans un monde où la concurrence se développe aussi dans le domaine éducatif », selon le haut conseil.

Pourquoi ces périls ? Parce que la France reste « frileuse » face aux évaluations et « joue un faible rôle dans leur développement ». Parce que les pouvoirs publics ne leur accordent pas plus d’intérêt qu’aux évaluations nationales. Parce que l’Union européenne s’en remet à l’OCDE au lieu de construire ses propres indicateurs notamment pour évaluer la « stratégie de Lisbonne » ­ adoptée en 2000 par l’UE, elle fixe des objectifs pour faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde » d’ici à 2010.

Au coeur du débat : Pisa (1), le plus célèbre des indicateurs de l’OCDE. Andreas Schleicher, chef de la division « indicateurs et analyse » à l’OCDE, responsable de Pisa au niveau mondial, en défend les vertus.

L’indicateur Pisa est-il réellement sous influence anglo-saxonne, comme on le dit en France ?

Je connais cette complainte, mais je ne vois pas les preuves qui la fondent. Les tests que nous faisons passer aux élèves contiennent nettement plus de questions inspirées par l’Europe continentale que par les pays anglophones. La première version de Pisa incluait même plus de questions proposées par la France que par les Etats-Unis. Par ailleurs, quand vous refaites le classement uniquement sur la base des critères favorisés par la France, la position relative de la France ne change pas significativement. J’ajouterai que la méthodologie et les tests que nous administrons ont été adoptés par les gouvernements des pays membres de l’OCDE. Je serais surpris qu’un pays ait adopté un test dont il considérerait qu’il présente des biais qui vont le défavoriser...

Alors d’où vient ce malentendu ?

Peut-être du fait que les pays de l’OCDE ont délibérément décidé de fonder leur évaluation sur les compétences nécessaires pour entrer dans la vie active et non les connaissances accumulées pendant les études. Or cette dernière approche est plus familière aux systèmes éducatifs comme le vôtre ou comme le mien (en Allemagne), tandis que la méthode que nous avons retenue semble plus naturelle en Suède ou au Japon.

Pisa est souvent résumé à un palmarès, plutôt que présenté comme une évaluation multicritères. Peut-on enrayer cette dérive ?

Je le crois. Dans de nombreux pays, les politiques, les responsables éducatifs et les enseignants utilisent désormais les résultats pour analyser leurs forces et leurs faiblesses en regard des performances des autres pays. C’est ce pour quoi Pisa a été conçu.

Certains pays, comme l’Allemagne, ont réagi très fortement aux résultats de Pisa ; d’autres, comme la France, sous-réagissent. Pourquoi ?

La réaction allemande est compréhensible. Avant Pisa, l’opinion n’avait que peu d’informations sur le niveau des élèves. Les parents ignoraient ce que leurs enfants savaient ; les enseignants étaient enfermés dans un face-à-face solitaire avec les élèves et leurs difficultés, sans retour sur le résultat de leur travail ; et les écoles avançaient sans visibilité sur leurs forces et leurs faiblesses. Pisa a mis en lumière ce qui restait dans l’ombre : des déficits majeurs dans l’acquisition des connaissances par les élèves et une inégale répartition [sociale] de l’offre éducative. Cela a convaincu tout le monde qu’un simple lifting du système existant ne suffirait pas et que le pays avait besoin d’une transformation plus fondamentale de son système éducatif. Pisa a cristallisé un solide soutien en faveur d’une réforme, dont les résultats se font sentir : Pisa 2003 a montré que l’Allemagne allait dans la bonne direction.

D’autres pays se sont-ils servis de Pisa comme levier de réforme ?

Oui. Notamment l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Hongrie, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, la Pologne, l’Espagne, la Suisse et le Royaume-Uni.

Pisa dessine des « modèles » efficaces. Mais peut-on les transférer d’un pays à l’autre ?

Pas en tant que tels. Les défis de l’éducation sont très similaires partout, mais les contextes varient. L’enjeu n’est pas de tenter d’imiter un modèle particulier, au motif qu’il a fait ses preuves ailleurs ; il est, pour chaque pays, d’élargir son horizon et d’observer l’impact et les conséquences des réponses politiques et des expériences de terrain qui existent dans le monde.

Peut-on réformer un système éducatif sans réformer le modèle social dans lequel il s’inscrit ?

Je le crois. Le Canada, le Japon, la Finlande ou la Suède atteignent des résultats excellents en termes de compétences des élèves mais aussi en termes d’équité sociale dans l’accès à l’éducation. Dans ces deux registres, ils font mieux que la France, ce qui suggère que l’éducation est un puissant moteur de progrès en tant que tel. Par ailleurs, dans certains pays, l’éducation permet d’atténuer significativement l’impact négatif des origines sociales sur le niveau des élèves, alors que dans d’autres la vérité est probablement que l’éducation renforce les disparités socio-économiques initiales ­ c’est notamment le cas dans nos deux pays.

(1) Ce programme de l’OCDE évalue les compétences de 250 000 jeunes âgés de 15 ans dans 40 pays. La France se situe dans la moyenne, loin derrière la Finlande, la Corée ou le Japon, devant l’Allemagne, et au niveau des Etats-Unis. Voir www.pisa.oecd.org

mis en ligne le jeudi 26 mai 2005
par ML



  
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