Mais qui surveille les élèves ?

Mais qui surveille les élèves ?

Pourquoi Luc Chatel propose-t-il des « médiateurs de la réussite » aux profs qui réclament des « assistants d’éducation » (les surveillants de naguère) ? Parce qu’ils sont encore plus précaires et donc moins chers. Les profs de l’académie de Créteil étaient nombreux à manifester ce jeudi après-midi dans les rues de Paris, pour une multitude de raisons. Entre autres : la violence scolaire. Au lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine, bastion de la lutte depuis l’agression d’un élève la semaine dernière, le conflit se cristallise sur le nombre de surveillants chargés d’encadrer les élèves. D’un côté, les profs refusent de reprendre les cours tant qu’ils n’obtiendront pas le doublement du nombre de surveillants. De l’autre, l’académie de Créteil, et le ministre de l’Education Luc Chatel, concède trois surveillants supplémentaires et six médiateurs de réussite scolaire. Soit neuf postes au total.

Sauf que, s’étranglent les profs, médiateur ne veut pas dire surveillant. En termes de statut, de mission, de salaire. Ce conflit local repose la question, plus générale, du statut du personnel encadrant les élèves.

Indispensables à la vie de l’établissement, ils occupent des postes de plus en plus précaires. Et n’ont ni le temps, ni les moyens de faire correctement leur travail. Qui sont-ils ?

Dans la vraie vie, au bahut, on les appelle depuis des générations, les pions. Dans nos souvenirs, ils sont jeunes, partagent leur temps entre la fac et le lycée et sont plus ou moins permissifs. Depuis la réforme de 2003, leur profil a bien changé. Jusque là, ces postes étaient ouverts aux seuls étudiants, en priorité les boursiers, se destinant aux concours de l’Education nationale.

C’était le job étudiant par excellence. 28 heures par semaine, aménageables en fonction de l’emploi à la fac, payé au Smic. « On pouvait suivre les cours du soir, c’était plus dur mais c’était une chance... Un exemple aussi pour les élèves de voir leurs surveillants avec un livre à la main... », raconte Alexandra Tkaczynski, en poste depuis six ans, membre du Snes, premier syndicat du secondaire.

Aujourd’hui, ce n’est plus ça. Les maîtres d’internat et surveillants d’externat s’appellent désormais « assistants d’éducation » (AED dans le jargon) et ne sont plus forcément des étudiants.

Tout le monde peut postuler à condition d’avoir le bac.

Ils sont recrutés par contrat d’un an, renouvelable six fois maximum. Des 28 heures hebdomadaires, ils sont passés à 41 heures, réduites à 36 pour les étudiants, avec l’accord du chef d’établissement. C’est lui qui recrute maintenant (et non plus le rectorat). « Et souvent, il ne s’embarrasse pas d’étudiants à qui il faut aménager les horaires », déplore Alexandra Tkaczynski. En pratique donc, des gens de tout âge et de tout profil occupent ces postes de surveillants, certains se retrouvant là par hasard alors qu’ils cherchaient du travail, sans être sensibilisés aux problématiques de l’éducation, ni formés pour faire face à la violence scolaire. « On réclame depuis des années une formation. Mais, rien n’est écrit dans les textes, c’est très aléatoire d’une académie à l’autre... », regrette le Snes. Quelles sont leurs fonctions ?

Surveiller bien sûr. Mais pas seulement. Ils peuvent aussi être amenés à participer à l’accompagnement pédagogique des élèves (les heures de soutien, l’aide aux devoirs), aider à l’intégration des enfants handicapés, à l’utilisation des nouvelles technologies ... Mais aussi venir en renfort des documentalistes, organiser des animations hors du temps scolaire pour les internes. « Et puis, il y a tout ce qu’on nous demande en plus... Au niveau administratif par exemple. Faut bien comprendre qu’on est à la merci du chef d’établissement qui renouvelle nos contrats chaque année », explique Alexandra Tkaczynski.

Combien de surveillants pour combien d’élèves ?

C’est toute la question. « Les postes d’assistant d’éducation sont répartis par les autorités académiques dans les établissements en fonction des besoins et du projet d’établissement, en accordant une priorité aux fonctions de surveillance », précise une circulaire de 2003.

Interrogé, le ministère n’était pas en mesure jeudi de donner des chiffres. Au lycée de Vitry-sur-Seine, où s’est produite l’agression d’un élève la semaine dernière, on compte 11 surveillants pour 1500 élèves. Soit un AED pour 135 lycéens environ. Est-ce suffisant ?

Les profs du lycée Adolphe-Chérioux estiment que non, et exigent le doublement des effectifs. « Quand on parle de 11 postes, cela fait en pratique 5 assistants par jour... », précise le Snes. Une prof, dans le mouvement, avouait même qu’elle fermait parfois la porte de sa classe à double tour par peur des intrusions.

Selon le syndicat, il y a en France 80.000 assistants d’éducation. Dans l’académie de Créteil, on en compte 695 pour 98 000 élèves, soit un AED (en contrat de 36 heures) pour 200 élèves environ. « Ce n’est qu’une moyenne. En pratique, certains établissements, notamment les ZEP, sont plus dotés que d’autres », précise le syndicat qui regrette que le ministère, dans leur dotation, ne prenne pas en compte certains critères. A savoir l’amplitude des heures d’ouverture du lycée, sa superficie et le nombre d’élèves post-bac. Pourquoi le ministère propose-t-il des médiateurs à Vitry plutôt que des surveillants ?

« Pour des raisons budgétaires ! », répond du tac au tac Mathieu Brabant, de la CGT Educ’ 93. Les médiateurs de réussite scolaire -invention de l’ancien ministre Xavier Darcos en février 2009- coûtent moins chers que les assistants d’éducation. Leur statut est encore plus précaire. Ce sont des contrats d’aide au retour à l’emploi (CAE), de six mois, renouvelable quatre fois. Soumis au droit privé, ils sont à temps partiel, payés dans les 600 euros net par mois. « Comment voulez-vous qu’ils s’investissent dans leur poste ! Ils ne restent pas assez longtemps... Ils ne connaissent pas les élèves, ne savent pas les cadrer », témoigne une prof de Bobigny, dans la rue ce jeudi.

Au delà du statut, un deuxième problème fait bondir les syndicats : les médiateurs de réussite scolaire ne sont pas là pour surveiller ! C’est écrit noir sur blanc sur le site du ministère : « Ils participent activement à la prévention de l’absentéisme et au renforcement des liens des parents avec l’école ». Mathieu Brabant ajoute : « Souvent, ils ont carrément des bureaux à part, parce que leur boulot consiste essentiellement à passer des coups de fil aux parents... »

Sauf qu’avec les restrictions budgétaires, les chefs d’établissement sont incités à recruter des contrats aidés plutôt que des assistants d’éducation. « C’est exactement ce qui est en train de se passer dans l’académie de Nice. Ils remplacent les assistants d’éducation par des contrats aidés. Vitry en est un nouvel exemple, dénonce le Snes. Ce n’est pas comme ça qu’on va lutter contre la violence scolaire... »

mis en ligne le jeudi 11 février 2010
par ML



  
BRÈVES

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