Luc Chatel : "L’éducation nationale doit être un réducteur d’inégalités"

Nommé ministre de l’éducation en mai 2009, Luc Chatel fait sa première rentrée scolaire mercredi 2 septembre.

Dans un entretien au "Monde", le nouveau ministre déclare qu’"en deux ans Xavier Darcos", son prédécesseur, "a engagé des réformes importantes" et qu’il en "poursuivra la mise en œuvre".

Il assure que son principal "défi" est "que chacun ait sa chance" : "l’éducation nationale doit être un réducteur d’inégalités".

Dans l’immédiat, M. Chatel doit assumer les suppressions de postes du budget 2010, reprendre le dossier du lycée sur lequel M. Darcos avait trébuché et restaurer la discussion avec les syndicats.

Lorsqu’un nouveau ministre de l’éducation est nommé à mi-mandat, c’est généralement pour calmer le jeu.

Quelle est votre feuille de route : réformer ou apaiser ?

Pourquoi opposer les deux ? Je me situe dans la continuité des engagements présidentiels et dans le cadre de l’action conduite par le premier ministre.

En deux ans, Xavier Darcos a engagé des réformes importantes, dont je poursuivrai la mise en oeuvre. D’autres sont nécessaires. Je les mènerai dans un esprit de dialogue et de concertation.

Que vous a inspiré votre plongée estivale dans les dossiers de l’éducation ?

Une donnée m’a marqué. On compte, à l’entrée en 6e, 16 % d’enfants de cadres et 55 % d’enfants d’ouvriers et d’employés. En classe préparatoire, les proportions sont exactement inversées. Mon défi est là. Il faut que chacun ait sa chance. L’éducation nationale doit être un réducteur d’inégalités.

Vous héritez de la réforme du lycée sur laquelle votre prédécesseur a achoppé : comment allez-vous la gérer ?

J’ai trouvé sur mon bureau les préconisations de Richard Descoings (directeur de Sciences Po Paris, auteur d’un rapport sur le lycée) et me suis longuement entretenu avec lui. J’ai proposé à nos partenaires - syndicats, parents d’élèves, associations et lycéens - de m’adresser, pour le 1er septembre, une contribution écrite sur leurs accords ou désaccords avec ces propositions. En parallèle, avec mon équipe, nous avons avancé sur le sujet. Courant septembre, nous aurons construit l’architecture de ce nouveau lycée, qui entrera comme prévu en vigueur à la rentrée 2010.

Quel en sera le maître mot ?

Il ne s’agit pas de réformer pour réformer, mais de rendre le lycée plus juste. Avec Valérie Pécresse (ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche) et Martin Hirsch (haut commissaire à la jeunesse), nous voulons passer d’un système d’orientation subi à un système choisi et réversible. Nous souhaitons aussi faire du lycée un lieu de vie. C’est ce que demandent les lycéens d’aujourd’hui : un lieu où ils sont acteurs, tout comme ils doivent être acteurs de leur orientation.

Un ministre de l’éducation doit-il se soucier prioritairement des enseignants ou des parents ?

Je refuse d’opposer les uns aux autres. Tous deux constituent la communauté éducative. Lorsque nous améliorons le fonctionnement du remplacement, par exemple, c’est au bénéfice de tous.

Cette agence du remplacement serait un moyen de faire travailler des vacataires.

Je vais discuter cette semaine avec les organisations syndicales des modalités de mise en place de ce projet. Le système en vigueur est trop rigide. Quant à l’emploi de contractuels, cela fait longtemps qu’il existe lorsque, dans certaines disciplines, le volant de remplaçants titulaires est déjà utilisé.

De 2007 à 2010, 49 400 postes d’enseignants ont été supprimés, soit plus de 6 % des effectifs. Allez-vous continuer ?

La rentrée va se faire à taux d’encadrement constant. Dans un contexte très contraint, le budget de l’éducation nationale continue à augmenter : de 1,4 % cette année, soit un peu plus que le budget de l’Etat. Depuis 2002, il a même augmenté de plus de 10 %. De plus, nous savons nous adapter aux besoins : nous ouvrons à la rentrée 500 classes dans le primaire, où la démographie repart à la hausse. Nous créons aussi 600 postes dans les zones d’éducation prioritaire, en collège ou en lycée, car il y a là des besoins plus importants.

Aucune pause n’est envisagée ?

Personne n’a été pris de court. Ces mesures s’inscrivent dans la politique globale du gouvernement, que Nicolas Sarkozy avait annoncée et qui consiste à ne pas remplacer un départ en retraite sur deux. Ces suppressions de postes nous donnent une marge de manoeuvre soit pour revaloriser les enseignants - c’est ce que nous avons amorcé, avec la prime d’installation et la prime liée aux évaluations de CE1 et CM2 -, soit pour mettre en place des services nouveaux, comme l’aide individualisée en primaire, l’accompagnement éducatif au collège ainsi que dans 200 lycées à compter de cette rentrée. Le taux d’encadrement a été maintenu, et des services nouveaux pour les élèves et les familles ont été créés.

La revalorisation des salaires des enseignants sera-t-elle limitée au début de carrière ?

Elle sera significative, et aura lieu d’abord en début de carrière. Mais ce n’est pas à mes yeux la seule forme de revalorisation du métier. Il faut aussi plus d’accompagnement des enseignants, et davantage de formation continue, non seulement pédagogique mais qui permette d’envisager d’autres perspectives, voire une deuxième carrière. Par ailleurs, rallonger d’une année la formation initiale, comme nous le faisons à travers la "mastérisation", est un signal fort à destination des enseignants.

Cette réforme de la formation des maîtres crée des tensions. Ne faut-il pas la remettre à plat ?

J’ai travaillé avec Valérie Pécresse pour renouer les fils du dialogue. Nous avons reçu ensemble les syndicats. Nous avons montré que le gouvernement avait un seul et unique avis sur le sujet, et qu’il était désireux d’aboutir. La discussion reste ouverte sur les sujets qui font encore débat : la date des concours, le contenu des maquettes de masters, celui des stages... Ces points seront traités dans les semaines qui viennent.

Des enseignants craignent la privatisation. Votre parcours antérieur, à L’Oréal, à Démocratie libérale n’est-il pas de nature à renforcer leur opinion ?

Tout démontrera l’inverse. Je demande à être jugé aux actes, et non aux intentions prêtées. Je revendique le caractère national de l’éducation nationale. Je revendique qu’il y ait des programmes nationaux, des orientations nationales, c’est vraiment le gage de l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire. Il n’a jamais été et ne sera jamais question de "privatiser" l’éducation.

Des milliers de maîtres du primaire se déclarent "désobéisseurs". Comment comptez-vous enrayer ce phénomène ?

Le concept même de désobéissance me paraît incompatible avec les valeurs de l’éducation. J’ai du mal à comprendre qu’un maître, qui se fait obéir par ses élèves, revendique la désobéissance publique. Plus généralement, un fonctionnaire met en oeuvre les directives du gouvernement. Nous sommes en République. Si on suivait ces "désobéisseurs", cela aboutirait à une éducation à la carte où chacun fait ce qu’il veut : c’est le contraire de ce que je souhaite, de ce que souhaitent les Français et l’immense majorité des enseignants. Et c’est d’ailleurs un fondement de leur métier : la liberté pédagogique, oui mais dans le cadre d’orientations nationales.

Et ceux qui désobéissent ?

Des commissions de discipline ont prononcé des sanctions. Quant aux décisions des tribunaux administratifs qui ont suspendu les retenues sur salaires, le ministère se pourvoit en cassation.

Sur la grippe A, n’en faites-vous pas un peu trop ?

On n’en fait jamais trop pour la santé des enfants. La possibilité pour les préfets de fermer au cas par cas les écoles dès lors que trois cas ont été détectés a été prise au sein du centre interministériel de crise. Il n’y aura pas forcément de fermetures systématiques, mais les préfets ont besoin d’un cadre d’appréciation. Et tout cela se fait naturellement en conformité avec les recommandations de l’Union européenne.

Etes-vous inquiet ?

Inquiet non, vigilant oui.

Propos recueillis par Maryline Baumard, Luc Cédelle et Françoise Fressoz

mis en ligne le mercredi 26 août 2009
par ML



  
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