Ils ne dorment pas assez !

paru dans La Croix du 18/03/2009 Ils ne dorment pas assez !

Les jeunes enfants empêchent leurs parents de dormir. Les adolescents sont de plus en plus décalés... Le point sur cette activité essentielle qui occupe le tiers de notre temps mais empoisonne parfois la vie des familles : le sommeil

Amélie, mère d’un petit garçon de 5 ans, se plaint, comme beaucoup de parents, d’avoir toujours eu des « problèmes de sommeil » avec son fils. « Tout petit, il se réveillait toutes les deux heures comme un métronome. C’était horrible ! » Et elle réalise dans quel engrenage elle s’est laissé embarquer. « Je l’allaitais, du coup il dormait dans notre lit ou dans un couffin à côté, comme on me l’avait conseillé à la maternité. Sauf que, moi, je dormais mal : je suis une mère angoissée, du genre à vérifier régulièrement s’il respire ; j’ai dû lui refiler mon angoisse. J’en avais conscience, mais je ne sais pas comment j’aurais pu faire autrement. Résultat : jusqu’à l’âge de 3 ans, il se réveillait une ou deux fois par nuit et il fallait qu’on lui donne la main pour qu’il se rendorme. Maintenant, précise-t-elle, je lui lis trois histoires et c’est bon. Mais il s’endort rarement avant 22 heures. »

Amélie réalise aussi à quel point les difficultés d’endormissement de son fils ont des répercussions sur sa vie. « À un moment, j’étais tellement épuisée que j’étais à bout de nerfs toute la journée. C’était inimaginable pour moi d’avoir un second enfant. Et on n’avait plus de vie de couple ! »

Marine, mère de deux adolescents de 15 et 17 ans, a renoncé depuis longtemps à « coucher » ses grands enfants. Elle sait qu’ils s’endorment tard, restent connectés sur leur ordinateur portable une partie de la nuit, mais elle n’a plus le courage d’intervenir. « Je ne sais pas à quelle heure ils éteignent, car je m’endors presque toujours avant eux, dit-elle. Le matin, ils ont toujours du mal à se lever et ont souvent mauvaise mine. Le week-end, ils se couchent encore plus tard et font des grasses matinées interminables : on a du mal à les sortir du lit pour déjeuner ! »

Qu’ils aient 6 mois ou 16 ans, le sommeil des enfants préoccupe leurs parents. Il constitue le premier motif de consultation chez le pédiatre. Et le thème des questions le plus fréquemment posées par les internautes sur le site vosquestionsdeparents.fr. Nouvelle prise de conscience ? Un rapport remis en 2006 au ministre de la santé a souligné que le sommeil était devenu une question de santé publique importante.

Un programme d’action a été mis en place, qui prévoit de communiquer davantage sur ce thème auprès des familles et de mener des actions éducatives auprès des jeunes. Un DVD interactif, Sommeil de l’enfant et de l’adolescent, élaboré à l’initiative de l’académie de Paris, du Réseau Morphée et de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), est distribué gratuitement aux familles : il contient une mine d’informations et de conseils très pratiques, pour les parents et les adolescents.

Le sommeil révélerait-il les anxiétés des adultes ?

Pour autant, le sujet reste encore trop souvent occulté. Le sommeil toucherait-il à des zones si profondes et si complexes de nos relations au monde, aux autres, à la vie, à la mort, à notre propre enfance ? Révélerait-il les anxiétés des adultes, leurs faiblesses, une autorité parentale défaillante ? Les parents n’osent pas toujours en parler spontanément, reconnaître qu’ils rencontrent des problèmes dans ce domaine, comme l’a constaté Évelyne Chouvellon, responsable d’une halte-garderie à Paris :

« Certains parents ne dorment pas depuis la naissance de leur enfant, mais ils ne s’en vantent pas trop : ils le vivent un peu comme un échec, se disent qu’ils ont dû faire une erreur. Ou bien l’acceptent comme une fatalité. Mais dès qu’on lance la discussion sur le sujet, les langues se délient. Certains parents disent qu’ils sont épuisés, parfois au bout du rouleau. Alors qu’il suffit souvent d’appliquer quelques conseils de bon sens pour que leur vie soit changée, comme par miracle. »

Le sommeil des enfants met néanmoins en jeu des interactions complexes avec leurs parents, comme l’explique Sylvie Royant-Parola, psychiatre et présidente du Réseau Morphée. « L’organisation du sommeil nous confronte toujours à l’autre en tant qu’individu, ayant sa spécificité propre. L’arrivée d’un bébé dans une famille - surtout le premier - produit une petite révolution : ses cycles et ses besoins de sommeil sont très particuliers et ses parents vont devoir le comprendre. Dès 3-4 ans, ces besoins sont variables suivant les enfants.

Les besoins des enfants sont souvent méconnus

Certains ont besoin de se coucher tôt, d’autres plus tard. Il faudra trouver ce qui est mieux pour lui. Mais les parents vont aussi réagir en fonction de leurs croyances, de leurs connaissances, de leur vécu personnel. Ce qui suppose une adéquation mutuelle, le sommeil pouvant être source aussi de malentendus entre parents et enfants. La méconnaissance qu’ont souvent les parents de la physiologie du sommeil va faire qu’ils attribuent parfois à leurs enfants la même façon de dormir qu’eux. »

L’enfant a besoin néanmoins qu’on lui propose - ou qu’on lui impose - un certain nombre de règles pour qu’il puisse organiser son sommeil au mieux et de façon autonome : éviter le soir les activités qui l’excitent, instituer un rituel de coucher (une histoire, un câlin...), mais ne pas intervenir dès qu’il se réveille, etc. « Or, constate le docteur Royant-Parola, les parents ne savent pas toujours quand arrêter ce rituel, car ils peuvent avoir du mal eux aussi à se séparer de leur enfant, se sentir angoissés ou coupables d’être rentrés trop tard ; ils risquent alors d’entrer dans un engrenage dont ils auront du mal à sortir. D’autres facteurs peuvent interférer : on peut avoir envie de privilégier la vie familiale ou au contraire se préserver des moments à deux.

Et quand plusieurs enfants d’âges différents dorment dans la même chambre, on va devoir faire des compromis. Mais les parents souvent ont du mal à exercer leur autorité, n’arrivent pas à dire à leur enfant : “Maintenant, tu te couches”, ou s’imaginent que l’enfant va aller au lit de lui-même quand il aura sommeil. Or, ce sont les parents qui restent les “donneurs de temps” et il est important de maintenir des habitudes régulières, qui doivent être prises le plus tôt possible. »

Les adolescents sont de plus en plus décalés

Car ce n’est pas à l’adolescence, autre période cruciale qui inquiète les spécialistes, qu’on va pouvoir les recadrer, si on ne l’a pas fait avant. Les adolescents - et à un âge de plus en plus précoce - ont tendance à dormir de moins en moins (ils auraient perdu deux heures de sommeil par nuit en dix ans), et à se décaler de plus en plus dans le temps... Soit l’équivalent d’un Paris-New York le week-end ! Et la situation se serait aggravée ces cinq dernières années.

Raisons de ce phénomène ? Les adolescents ont spontanément un rythme de sommeil différent (un endormissement et un lever plus tardifs), lié aux hormones de la puberté ; ils ont toujours aimé vivre la nuit et se démarquer des adultes. Mais le développement des nouvelles technologies aurait accentué cette tendance : on voit en effet de plus en plus de jeunes (parfois dès 10-12 ans) passer leur soirée dans leur chambre à téléphoner, écouter de la musique, « chatter » sur MSN, ou jouer en réseau avec leurs copains. « Ces objets sont plus stimulants que la télévision, les maintiennent éveillés plus longtemps, et décalent encore plus leur horloge interne. Ce qui est extrêmement dommageable pour l’ensemble de leurs rythmes biologiques », alerte Sylvie Royant-Parola.

Cette privation de sommeil et cette désorganisation des rythmes ont aussi des conséquences sur leurs performances scolaires. C’est ce que constate Armelle Nouis, proviseur du lycée professionnel Lazare-Ponticelli (à Paris) : « On voit de plus en plus d’élèves qui s’endorment en classe, notamment à la première heure, et qui somnolent le reste de la journée.

Certains décrochent même scolairement pour cette raison. Il est important de sensibiliser les élèves sur les méfaits de ces désordres sur leur santé, leurs performances physiques et intellectuelles, leur comportement (quand ils ont mal dormi, ils sont à cran, s’énervent plus facilement). » Et aider les parents à trouver des solutions, en expliquant aux uns et aux autres que le temps passé à dormir n’est pas du temps perdu. C’est la raison d’être de cette 9e Journée du sommeil qui se déroule aujourd’hui.

Christine LEGRAND

mis en ligne le mardi 17 mars 2009
par ML



  
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