L’école maternelle est-elle vraiment menacée ?

L’école maternelle est-elle vraiment menacée ?

Création de jardins d’éveil pour les plus petits, exigence de performances pour les plus grands : les projets de réforme de l’école maternelle soulèvent des craintes

Le 7 février dernier, Enfant Magazine, mensuel de Bayard Presse, publiait sur son site (www.enfant.com) un manifeste pour que l’école maternelle reste « une école à part entière », « un lieu où les enfants apprennent à vivre ensemble » et « où ils construisent leur savoir en s’appuyant sur la réflexion et la créativité plutôt que sur la répétition ».

Un manifeste qu’ont signé depuis de nombreux internautes, rejoignant les quelque 2.000 personnes venues témoigner de leur profond attachement à cette institution, qu’ils sentaient menacée. Cet élan d’affection pour l’école maternelle a réjoui Carole Renucci, rédactrice en chef d’Enfant Magazine : « J’ai le sentiment que les parents, mais aussi les grands-parents, de toutes professions et de tous milieux sociaux tiennent à cette école maternelle, qu’ils considèrent comme le fleuron de la culture française et ne comprennent pas comment on peut y toucher. Ils sentent que ces premières années sont fondamentales, que c’est là que se construit le socle des apprentissages et de la vie sociale, et que la société ne doit pas passer à côté. »

Depuis quelque temps, l’école maternelle est en effet l’objet de petites attaques ou de critiques ouvertes, de rapports controversés et de projets de réforme contestés. Point de départ de la polémique, un rapport remis au ministère de l’éducation nationale par le linguiste Alain Bentolila, « L’école maternelle au front des inégalités linguistiques et sociales », où il montre que l’école maternelle « fait illusion », qu’elle n’est pas, comme on le croit, à la pointe de la pédagogie active et qu’elle ne corrige pas les inégalités entre les élèves.

Quelques mois plus tard, un inspecteur de l’éducation nationale écrit un livre coup-de-poing (sous un pseudonyme), Il faut fermer les écoles maternelles. En août dernier, Michèle Tabarot, députée UMP des Alpes-Maritimes, chargée d’une mission sur le droit opposable à la garde d’enfant, remet en cause l’école à 2 ans, en suggérant de créer pour les 2-3 ans une structure intermédiaire (payante pour les familles ?) : les « jardins d’éveil » - une idée relancée en novembre dernier par deux sénateurs.

La petite phrase de Xavier Darcos a mis le feu aux poudres

Mais c’est une fameuse petite phrase, prononcée le même été par Xavier Darcos, lors d’une audition devant la commission des finances du Sénat, qui a mis le feu aux poudres : « Est-ce qu’il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l’État, que nous fassions passer des concours bac + 5 à des personnes dont la fonction va être principalement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? Je me pose la question. »

Depuis, le ministre de l’éducation nationale a voulu calmer le jeu, affirmant, le 22 janvier, qu’elle resterait une « école à part entière », annonçant la publication imminente d’un petit guide (édité à 3,5 millions d’exemplaires) destiné aux parents et s’engageant à mettre en place des groupes de travail sur la scolarisation des enfants de 2 ans. Mais le débat n’est pas clos, et se faire un avis n’est pas si simple.

« Ces petites attaques contre l’école maternelle ne sont pas nouvelles », explique Thérèse Boisdon, ex-présidente nationale de l’Ageem (Association générale des enseignants des écoles maternelles), dans son livre qui vient de sortir aux Éditions Bayard : Sauvons la maternelle ! « Depuis qu’elle existe, l’école maternelle a toujours été obligée de se défendre.

Parce que non obligatoire, elle est presque systématiquement remise en question dès que l’éducation nationale souhaite resserrer son budget. Sa part n’est pas négligeable : 20 % sont imputés pour la maternelle. »

Des avis partagés concernant les effets bénéfiques sur les enfants

La scolarisation des enfants de 2 ans - une spécificité française - est en particulier remise en cause dès qu’il s’agit de faire des économies. Mais le débat dépasse largement les contraintes financières. Si beaucoup reconnaissent que l’accueil des enfants en maternelle dès 2 ans rend un service important (et gratuit) aux parents qui n’ont pas d’autre mode de garde - elle facilite notamment la reprise du travail des mères -, les avis sont partagés concernant les effets bénéfiques sur les enfants eux-mêmes.

Certains pédagogues pensent qu’une scolarisation précoce permet de compenser un retard de langage, un handicap social ou culturel, et favorise l’avenir scolaire des enfants. Bruno Suchaut, professeur en sciences à l’université de Bourgogne, et auteur de plusieurs travaux de recherche sur le système éducatif, a ainsi démontré que « lorsqu’un enfant entre à l’école à 2 ans, il réussit mieux, redouble moins et acquiert des capacités d’apprentissage essentielles ».

Mais les psychologues de la petite enfance n’y sont en général pas favorables, estimant qu’à 2 ans, un enfant est encore un bébé et que l’école « néglige ses besoins fondamentaux », comme l’ont expliqué plusieurs d’entre eux dans un ouvrage collectif : L’école à deux ans : est-ce bon pour l’enfant ?

Carole Renucci pense que leur scolarisation est possible « à condition que leur accueil soit souple et adapté (possibilité de n’y aller que le matin ou l’après-midi, d’entrer en cours d’année, etc.) ». Quant aux parents, ils restent encore très prudents, comme le confirme le sondage réalisé sur Enfant.com.

« Ma fille est entrée à l’école à 2 ans et 4 mois, témoigne ainsi une maman ; et cela lui a été très bénéfique, tant au niveau du langage que pour le reste. Elle n’était scolarisée que le matin pendant un mois, puis elle m’a clairement fait comprendre qu’elle souhaitait y rester la journée entière ! Je pense que certains enfants sont prêts à rentrer plus tôt.

Ma fille en crèche jusqu’à ses 2 ans commençait sérieusement à s’ennuyer... Moi-même, j’ai été scolarisée enfant à l’âge de 2 ans et quelques mois, et j’ai tout de suite adoré l’école ! Aux parents de décider si l’enfant est prêt ou pas.

"Il faut laisser l’enfant vivre son enfance"

Mais Éliane, maman d’un petit Cédric, né en janvier 2005, qu’elle avait inscrit l’an dernier, en vain, sur une liste d’attente, ne regrette rien. « Finalement, je ne suis pas mécontente que mon fils ait passé une année de plus chez sa nourrice, dans un cocon.

À 3 ans et demi, il avait acquis la maturité suffisante pour se séparer facilement, il était prêt à entrer à l’école et content d’y aller, alors que de toute évidence, certains (parmi les plus jeunes) n’étaient pas prêts et pleuraient toutes les larmes de leur corps chaque matin. »

Au-delà de la question de la scolarisation précoce, c’est l’esprit même de l’école maternelle qui est remis en cause. Doit-elle rester un lieu où on privilégie l’épanouissement de l’enfant et le développement de sa créativité ? Un lieu où on lui laisse le temps de grandir à son rythme, de jouer à sa guise, de rêver et même de dormir ? Ou doit-on exiger d’elle davantage de résultats et de performances ?

« Si on veut que l’école ne soit pas un strict instrument de reproduction sociale, estime Alain Bentolila, il faut que l’école maternelle prenne l’engagement de donner aux enfants les outils linguistiques qui leur permettent de réussir leur scolarité.

Un enfant qui n’a pas eu la chance de grandir dans un milieu familial qui l’imbibe de langage sera d’emblée mis en danger quand il arrivera au CP et risque de traîner un retard jusqu’au collège.

On se rend compte que le processus d’échec commence très tôt et prend ses racines dans l’école maternelle. » Il propose ainsi qu’on instaure, dès l’école maternelle, de véritables « plages d’apprentissage », distinctes des autres temps, et qu’on évalue les enfants - notamment leur maîtrise de la langue orale - avant l’entrée en CP.

Alors que pour Thérèse Boisdon, l’école maternelle est par essence « l’école du langage » et que le jeune enfant y « apprend » toute la journée à s’exprimer à travers les diverses activités qu’on lui propose, y compris « en se déguisant, en cuisinant, pendant la récréation ou le passage aux toilettes ». Elle doit rester, selon elle, un lieu où l’enfant reste un enfant avant d’être un élève, où on ne l’évalue pas, mais où on l’observe, où on détecte ses éventuelles difficultés, sans exiger de lui des résultats et sans le comparer aux autres. « Il faut le laisser vivre son enfance ! dit-elle. Mais l’école maternelle n’en est pas moins une vraie école ! »

Christine LEGRAND

mis en ligne le mardi 24 février 2009
par ML



  
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