Faut-il interdire la fessée ?

Faut-il interdire la fessée ? Le Conseil de l’Europe voudrait faire interdire par tous les États membres les punitions corporelles dans les familles. Mais les Français ne semblent pas prêts

Dans de nombreux pays d’Europe, il n’y a pas si longtemps encore, l’usage des châtiments corporels faisait partie de la « discipline » de nombreux établissements scolaires et l’on donnait dans les écoles des coups de règle sur les doigts pour une « faute » d’orthographe. Cette époque est désormais révolue.

Mais on tolère encore les claques, les fessées et autres raclées plus ou moins énergiques dans les familles. De nombreux adultes continuent à considérer que ces « corrections » sont une manière d’exercer son autorité sur un enfant et qu’elles peuvent même lui faire du « bien ».

C’est pour combattre ces idées reçues que Maud de Boer-Buquicchio, secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, a lancé le 15 juin 2008, à Zagreb, une campagne de sensibilisation auprès de tous les États membres afin que « l’Europe devienne un continent où le châtiment corporel n’existe plus ». Au programme : un site Web, des plaquettes d’information, un joli petit dessin animé, destiné à être diffusé dans différents pays, avec un slogan : « Les mains devraient protéger, pas frapper... Levez la main contre la fessée ! »

L’un des objectifs de cette campagne est d’inciter les états européens qui ne l’ont pas encore fait à légiférer dans ce domaine. « Il ne s’agit pas, précise Maud de Boer-Buquicchio, de “traîner en justice” les parents qui donnent des claques ou des fessées à leurs enfants. L’objectif est surtout de faire changer les mentalités. La plupart des parents continuent en effet à croire que les tapes ou les fessées font partie de l’éducation et il s’agit de leur faire comprendre qu’elles n’ont rien d’éducatif et qu’elles peuvent même être nocives pour l’enfant. »

Pour accompagner sa campagne, le Conseil de l’Europe est d’ailleurs en train de préparer un manuel destiné aux parents, pour les aider, à travers des conseils très concrets, à exercer leur autorité autrement. Car interdire la punition corporelle dans la loi ne suffit pas : il faut y associer une information très vaste, adressée à tous les milieux, comme l’a fait la Suède, qui a interdit la punition corporelle dans les familles, il y a trente ans déjà.

Pour autant, il n’est pas facile de remettre en cause des pratiques éducatives profondément ancrées dans les mentalités, qui se sont transmises de génération en génération. Pour preuve, les réactions émotionnelles que cette initiative a suscitées en France. « Que l’Europe se mêle de ce qui la regarde », a riposté aussitôt l’Union des familles en Europe. « Les premiers spécialistes de leurs enfants sont leurs parents, argue Dominique Marcilhacy. Ils souhaitent qu’on les laisse élever leurs enfants à leur idée, et beaucoup considèrent que la fessée est un moyen d’éducation qu’ils utilisent. On ne peut pas reprocher aux parents de ne pas bien élever leurs enfants et les disqualifier en même temps. »

Et Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la famille, dont on avait dit dans un premier temps qu’elle soutenait l’initiative européenne, le dément aujourd’hui fermement : « Je n’ai jamais signé aucun document officiel engageant la France à lever la main contre la fessée, assure-t-elle. Je trouve intéressante l’idée de promouvoir une éducation positive, mais il n’est pas question d’interdire la punition corporelle dans les familles. On dispose d’un arsenal juridique suffisant pour protéger les enfants et il faut laisser aux parents une marge de tolérance. Plus on évite le châtiment corporel, mieux c’est, mais en tant que mère de famille, j’en ai donné et j’en ai reçu quand j’étais enfant ; et je crois que ça structure. »

La défenseure des enfants, Dominique Versini, se dit, en revanche, « opposée à titre personnel à la punition corporelle ». « Un parent qui sait exercer son autorité avec bienveillance et amour n’a pas besoin de punition corporelle. J’ai donné à mes propres enfants, sous le coup de l’énervement, une fois une gifle et je l’ai regretté longtemps : je me suis demandé pourquoi je n’avais pas réussi à maîtriser ce geste. Je reviens, ajoute-t-elle, de Mayotte et de La Réunion, où l’idée que les enfants se “dressent” est encore largement répandue. Or on est passé de l’époque du dressage à l’éducation. Et il est important d’apprendre aux parents qu’on peut être ferme sans violence. »

Mais sur l’opportunité de légiférer, Dominique Versini se dit plus hésitante. « J’y étais plutôt favorable, mais j’ai posé la question à mon comité consultatif de 20 jeunes (âgés de 12 à 17 ans) et ils se sont plutôt prononcés contre, ce qui m’a perturbée », reconnaît-elle. « Il s’agit d’une question encore sensible en France. Et plutôt que de faire une nouvelle loi, l’urgence serait de mettre en place une politique globale d’accompagnement des parents. »

La France est pourtant l’un des pays d’Europe qui n’a pas légiféré dans ce domaine (lire les Repères page précédente, et « Ailleurs » page suivante). Et ce, malgré les recommandations successives d’organismes internationaux, comme le Comité des droits de l’enfant, le Comité européen des droits sociaux, ou le Commissariat aux droits de l’homme. Pourquoi tant de résistance ? Jacqueline Cornet, ancienne pédiatre, présidente de l’association « Ni claques ni fessées », s’en étonne. « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les Français ont du mal à évoluer, alors que d’autres pays ont franchi le pas. Je le comprends à la rigueur pour l’Angleterre, qui a derrière elle une longue tradition de châtiments corporels. Mais la France des Lumières, qui a aboli la peine de mort, je ne vois pas ce qui dans son histoire peut l’expliquer. »

Depuis Françoise Dolto, les spécialistes de l’enfance ont progressivement admis qu’il fallait renoncer à une éducation basée sur la punition, l’humiliation. « Quasiment tous les éducateurs, pédiatres, pédopsychiatres s’accordent là-dessus », souligne Jacqueline Cornet. Un rapport de l’OMS (remis en 2002) fait même de la violence éducative envers les enfants un « problème de santé publique » répertoriant sur plus de 400 pages les nuisances occasionnées : effets sur les comportements violents des jeunes, majoration des troubles comme l’hyperactivité, l’alcoolisme, la toxicomanie ou la délinquance. A contrario, de multiples travaux réalisés en Europe, aux États-Unis, en Australie ou en Afrique concordent pour dire que les enfants élevés sans punition corporelle vont mieux.

« Il faut refuser, insiste Jacqueline Cornet, même la petite tape. On peut tenir le même type de raisonnement que pour le vol. Car aucun parent n’est capable de dire qu’un jour ou l’autre, il n’en donnera pas une plus grosse, quand il sera énervé. »

Reste l’argument souvent avancé que les parents doivent pouvoir éduquer leurs enfants comme ils l’entendent, que l’état n’a pas à s’immiscer dans la vie des familles. « L’état intervient bien, dès qu’il s’agit du bien-être de l’enfant, répond Jacqueline Cornet, en rendant l’instruction obligatoire ou la vaccination.

Les parents ont besoin aussi d’être guidés, d’évoluer en fonction des connaissances de la science. » Abolir les châtiments corporels par la loi constituerait, selon elle, un moyen de faire évoluer plus rapidement les mentalités. C’est aussi l’avis de Maud de Boer-Buquicchio : « Lorsqu’en 1979, la Suède a fait ce pas important, la majorité des parents pensaient également que le droit d’élever leurs enfants comme bon leur semble était un droit sacré. L’État a eu le courage d’aller au-delà. Et on a vu graduellement les mentalités changer. Presque tous les jeunes parents suédois aujourd’hui disent ne plus avoir recours aux claques ni aux fessées ; et l’idée qu’ils seraient ainsi privés de leur autorité s’est révélée complètement erronée. » Christine LEGRAND

Témoignages : Mais pourquoi tapent-ils ? Entretien : Olivier Maurel, président-fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (Ovéo) : « Les enfants sont la seule catégorie d’êtres humains qu’on a encore le droit de frapper » Dans les autres pays d’Europe

La Croix

mis en ligne le mardi 28 octobre 2008
par ML



  
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