Meirieu :"Habiller la pénurie"

Meirieu :"Habiller la pénurie" Propos recueillis par Christophe ISRAËL leJDD.fr

Philippe Meirieu est l’un des meilleurs spécialistes du système éducatif français. Pédagogue, ancien directeur de l’IUFM de Lyon, et co-auteur d’un livre sur l’Ecole avec Xavier Darcos, il analyse pour leJDD.fr la réforme du lycée. A défaut d’assurer un véritable accompagnement des élèves, le projet actuel risque selon lui d’être perçu comme un simple "habillage de la pénurie".

Que vous inspire le projet de réforme du lycée dont le JDD a livré les grandes lignes ? Globalement, la surprise. Après la réforme des programmes de l’école primaire sur la base d’un retour à l’autorité, celle du lycée semble se caler sur des modèles pédagogiques dont on pourrait dire, à certains égards, qu’ils s’inspirent de modèles libertaires. C’est apparemment paradoxal, en réalité cela tient au fait que nous sommes en face d’une idéologie progressiste très claire : l’enfant doit faire dans un premier temps l’objet d’une instruction à la fois mécanique et rigoureuse et par la suite, on doit pouvoir lui laisser une marge de liberté suffisante pour qu’il puisse exprimer sa personnalité. Je me permets d’être sceptique. Ce qui me paraît aller dans le bon sens, c’est de ne pas faire un lycée calqué sur la sixième, mais de prendre au sérieux la formation à l’autonomie.

Quels avantages peuvent apporter la semestrialisation et la modularisation des enseignements ? Un des objectifs de cette réforme est de permettre aux lycéens de mieux se préparer à l’enseignement à l’université, puisque l’on met en avant, à juste titre, le très fort taux d’échec en première année à l’université. Est-ce que le lycée qui se profile sera une vraie préparation qui permettra ensuite à l’étudiant d’avoir une vraie autonomie ou est-ce que l’on va déjà installer au lycée ce qui est déjà extrêmement sélectif et générateur d’échec à l’université ? Je ne suis pas hostile à la modularisation, et je pense qu’effectivement, on ne peut pas traiter des élèves de seconde de la même manière que des élèves de sixième. Nous devons tenir compte de ce que sont des adolescents aujourd’hui. La maturité personnelle, affective, sexuelle, sociale des lycéens est bien plus grande que ce qu’elle était il y a vingt ou trente ans, et elle est sans commune mesure avec celle d’un élève de sixième.

"La modularisation favorisera les plus débrouillards"

Cette organisation suppose une autonomie renforcée. N’est-ce pas une difficulté supplémentaire pour les élèves ? Il faut donner à ces lycéens la possibilité de s’investir dans l’établissement scolaire. Néanmoins, une marge de choix nécessaire ne sera bénéfique aux élèves que si elle s’accompagne d’un renforcement systématique et fort de l’encadrement de l’accompagnement, et avec la mise en place d’un tutorat rigoureux. Cela veut dire qu’elle n’est possible que si l’on repense certaines fonctions comme celle du professeur principal pour qu’il puisse assurer ce tutorat d’une manière ferme, en particulier en direction des publics les plus en difficulté. Or je ne vois pas cela d’une manière claire dans les propositions qui sont faites aujourd’hui. Sans cela, une modularisation favorisera les plus débrouillards au détriment des élèves les plus fragiles...

"Le face-à-face magistral doit être réduit"

Le projet prévoit une baisse importante du volume horaires, à 27 heures contre 28 à 35 heures par élève actuellement. Je suis favorable à une réduction des horaires de cours mais pas au nombre d’heures de classe. Il y a aujourd’hui un temps de cours trop long par rapport au temps de travail personnel et collectif, d’étude et d’entraînement.

Faut-il segmenter plus clairement cours magistral et mise en activité des élèves ? Le lycée est très largement dominé par le modèle magistral, universitaire, même s’il y a des disciplines où l’on fait des travaux pratiques ou dirigés. Il ne faut pas simplement qu’il y ait des gens qui expliquent les règles du basket, je pense qu’il faut aussi des entraîneurs qui fassent jouer les élèves au basket. De la même façon, il faut qu’il y ait des gens qui fassent les dissertations avec les élèves par petits groupes, qui entraînent à l’oral, fassent de la conversation à l’oral en langue étrangère... Aujourd’hui on a des professeurs qui fonctionneraient comme des professeurs d’EPS qui dicteraient en cours les règles du basket et donneraient le match à faire à la maison. Fondamentalement, ils expliquent ce qu’est la dissertation et donnent le sujet. C’est là-dessus que se cassent la gueule les élèves des milieux difficiles.

Un certain nombre de disciplines (histoire-géo, mathématiques...) risquent de disparaitre dès la seconde. Effectivement je suis très inquiet, mais je pense que les choses vont évoluer et que nous ne sommes en face que de ballons d’essai. Il est impossible à mes yeux qu’une discipline comme l’histoire-géographie ne fasse pas partie du tronc commun. Un tronc commun fort doit être construit autour des disciplines qui fondent la citoyenneté : les lettres, l’histoire-géographie, peut-être l’économie (regardez la crise), probablement qu’il y a un certain nombre de données en mathématiques et en langues.

"Un habillage de la pénurie"

Le ministre affirme simultanément vouloir réformer de fond en comble le lycée... sans toucher au bac. C’est l’un des grands problèmes de cette réforme. Toucher au bac est un risque politique et syndical important, et il y a énormément de malentendus. Les lycéens avaient violemment réfuté l’introduction du contrôle continu en 2004, craignant des bacs à plusieurs vitesses, ce que je comprends bien. L’actuelle réforme maintenue avec le bac actuel me paraît absurde et d’ailleurs cela ne se fera pas. Les professeurs ne forment jamais qu’à ce qui est évalué. Autrement dit, indépendamment de toutes les injonctions, c’est toujours la modalité d’évaluation qui pilote la formation.

Le bac reste donc pertinent comme examen sanctionnant la fin des études secondaires ? S’il disparait sous sa forme actuelle, car il a atteint aujourd’hui un niveau qui relève de l’absurdité. Si on veut faire évoluer le lycée vers un travail plus autonome, la solution est d’aller vers un bac par unités capitalisables avec des épreuves de haut niveau dans chacun des modules. Cette réforme n’est pas suffisamment structurée pédagogiquement et va susciter la résistance des enseignants. Ce ne sont pas en soi des gens réactionnaires ou immobilistes, mais qui ont peur qu’on leur impose des réformes qui ne soient en réalité que des habillages de la pénurie. Je reste convaincu qu’une réforme qui apparaîtrait comme un levier pour démocratiser les pratiques enseignantes et faire accéder plus d’élèves au savoir pourrait obtenir l’assentiment des enseignants. Je reste optimiste.

mis en ligne le lundi 13 octobre 2008
par ML



  
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