Les nouveaux programmes du primaire : le pour et le contre

Antoine Fetet, formateur à l’IUFM d’Epinal et coordinateur en ZEP, regrette l’accent mis sur le « par cœur » au détriment de la réflexion. Renaud Quillet, agrégé d’Histoire et professeur à l’IUFM d’Amiens, estime pour sa part que la réforme clarifie les objectifs de l’enseignement en primaire.

Trop de par cœur ?

Renaud Quillet : Dans les instructions antérieures, il y avait des ambiguïtés que certains collègues ont interprétées comme une incitation à proscrire la mémorisation. On insistait beaucoup sur le sens à donner aux apprentissages. On a un peu oublié que toute une part doit être automatisée justement pour libérer l’esprit et se concentrer sur des problèmes. Notamment en lecture et en calcul, il faut apprendre par cœur afin d’acquérir des automatismes pour se mobiliser après sur la réflexion.

Antoine Fetet : Pour faire simple, la question majeure est celle de l’arbitrage entre comprendre et apprendre. Sous prétexte de faire comprendre, les nouveaux programmes accentuent le par cœur, la répétition, la régurgitation du savoir, notamment sur la grammaire et l’orthographe, au détriment de la réflexion. L’apprentissage des règles de la langue est bien sûr essentiel, mais on doit aussi permettre aux élèves de se poser la question « à quoi ça sert ? ». Là, on se contente de laisser penser aux élèves qu’en mémorisant on peut avoir un bénéfice, mais pour plus tard. Si on veut créer des décrocheurs dès le CE1, on ne s’y prendrait pas autrement. Le risque est là : fragiliser les élèves déjà en difficulté.

Des nouveaux programmes trop lourds ?

Renaud Quillet : C’est une question de priorités à définir. L’avantage de ces nouveaux programmes, c’est qu’ils clarifient les objectifs du primaire. Avant, il y avait un flou sur ce qu’il fallait faire à chaque niveau du cursus scolaire. La différence d’objectifs entre le primaire et le secondaire n’était pas clairement définie. Des craintes sont exprimées mais je trouve qu’un certain mélange des genres a régné pendant plusieurs années. Claude Allègre, par exemple, rêvait de voir appliquer des formes universitaires au primaire. Aujourd’hui, certains jeunes qui sortent du système scolaire ont de sérieux problèmes avec les fondamentaux. Ces programmes sont un premier pas pour refixer la progressivité des enseignements, qui avaient perdu de la clarté.

Antoine Fetet : Les nouveaux programmes s’apparentent à une accumulation de savoir, une liste de notions. Il est alors tentant pour les enseignants, bousculés par la charge des connaissances à transmettre, d’en suivre le déroulé sur le principe « un jour, une leçon » : « En septembre on fait le présent », etc. Cela irait pour le second degré, mais en primaire les leçons doivent être revues, le travail se fait au long cours. Il y a un risque de fuite en avant.

Education civique et morale, politesse : le retour en arrière ?

Renaud Quillet : En dehors du changement d’appellation qui rajoute l’adjectif « morale » au terme « éducation civique », je ne vois pas de révolution. La discipline a existé de Jules Ferry jusqu’au milieu des années 70. Puis elle a été rétablie en 1985. La Marseillaise faisait déjà partie des programmes, ce qui a toujours fait débat, étant donné les paroles de l’hymne national.

Antoine Fetet : Le savoir-vivre, cela s’apprend au quotidien, à l’école, avec la famille, ça se vit. Et les enseignants jouent déjà leur rôle en la matière. Il ne suffit pas d’apprendre mécaniquement telle ou telle règle, même si leur bien-fondé n’est pas en cause.

La méthode Darcos ?

Renaud Quillet : Il y a une vraie inquiétude des enseignants qui est due au climat actuel. Les programmes ont pas mal changé ces dernières années : après 1985 et 1995, les derniers datent de 2002 et ils ont été révisés en 2007 ! La suppression des postes dans le secondaire, les retraites inquiètent. Il y a donc des différences de sensibilité mais il faut replacer ces craintes dans un contexte plus large d’incertitude. L’interrogation principale est de savoir si ces programmes sont dans la tradition de l’école française ou s’ils sont fait dans la perspective d’un système éducatif à l’anglo-saxonne. De part son parcours, Xavier Darcos s’inscrit dans la tradition républicaine, mais il fait partie d’un gouvernement libéral. Est-ce que le retour aux fondamentaux, cela veut dire armer les jeunes le mieux possible ou leur donner le socle minimum pour les besoins des employeurs ? Je pense que ce n’est pas facile de trancher à l’heure actuelle.

Antoine Fetet : Il n’y a eu à ma connaissance aucune consultation menée par Xavier Darcos auprès des formateurs des IUFM, alors que nous travaillons au quotidien dans les écoles. Nous sommes nombreux à voir là un signe de défiance, pour ne pas dire une chasse aux sorcières. Quant aux consultations dans les écoles, il y a un décalage entre ce que nous disent nos collègues enseignants, en grande majorité opposés à ces nouveaux programmes, et le discours du ministre qui soutient que la majorité des enseignants est pour. On se demande quelle a été la méthodologie qui a conduit à l’élaboration de ces synthèses, que nous n’avons d’ailleurs toujours pas vues.

En fin de compte le projet n’a été corrigé qu’à la marge. D’après ce que j’ai pu voir ce matin, le ministre a retiré quelques notions symboliques (la règle de trois, le passé antérieur repoussé au collège). Mais sur le fond, la philosophie générale reste la même. Je continue à penser que les programmes de 2002 étaient plutôt bons dans l’ensemble. Le problème se situe au niveau de l’accompagnement des enseignants, dont le temps de formation dans les IUFM est trop court.

mis en ligne le mardi 29 avril 2008
par ML



  
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