Pourquoi je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet à mes élèves à la rentrée

Il est imprudent d’instrumentaliser politiquement l’histoire et de n’en livrer qu’une vision émotionnelle.

Pourquoi je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet à mes élèves à la rentrée Par Pierre SCHILLI QUOTIDIEN : mardi 22 mai 2007 Par Pierre Schill professeur d’histoire-géographie à Montpellier.

Nicolas Sarkozy vient d’indiquer que sa « première décision » de président sera de faire lire chaque début d’année dans tous les lycées la dernière lettre du jeune résistant communiste Guy Môquet, fusillé à 17 ans en 1941.

Professeur d’histoire-géographie a priori concerné par cette initiative, je voudrais expliquer pourquoi, sans vouloir remettre en cause l’autorité du nouveau président de la République, je ne lirai pas cette lettre dans un tel cadre.

La première raison tient à l’instrumentalisation politique de l’histoire par Nicolas Sarkozy. L’historien Gérard Noiriel, un des animateurs du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), avait, parmi les premiers, montré les ressorts de l’usage de l’histoire dans le discours public du candidat de l’UMP : son récit mémoriel a pour fonction de transcender les appartenances partisanes, avec notamment pour objectif de « fabriquer un consensus occultant les rapports de pouvoir et les luttes sociales » (http://cvuh.free.fr/).

C’est bien le sens de ses nombreuses références aux figures tutélaires de la gauche, qui ne sauraient valoir blanc-seing pour une captation d’héritage durable : le nom de Guy Môquet figurait dans le récent panthéon du candidat Sarkozy, et son engagement résistant, indissociable de son engagement communiste, n’a rien à gagner à devenir le prétexte à une lecture édifiante aux lycéens de France. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les suites de l’escapade maltaise du nouveau président : Vincent Bolloré a justifié le financement de cette croisière en faisant un parallèle indigne avec une visite de Léon Blum dans sa famille en 1947. Et voilà comment le nom de l’ancien président du Conseil du Front populaire, lui aussi maintes fois évoqué durant la campagne électorale, pouvait être utilisé au nom de la défense de petits intérêts politiques. Il me semble donc imprudent d’exposer au même risque d’instrumentalisation la mémoire de Guy Môquet.

La seconde raison, tout aussi importante me semble-t-il, est liée à des considérations pédagogiques. Vouloir faire lire en début d’année cette lettre risque de limiter cet exercice à une séquence émotionnelle à laquelle la lettre se prête particulièrement bien. Je ne sais pas s’il s’agit là de la motivation profonde de cette initiative ; est-il permis de rappeler au nouveau président que l’enseignement de l’histoire ne s’accommode pas de ce seul registre mais a toujours besoin de sens, c’est-à-dire en l’occurrence d’une remise en perspective dans un contexte élargi. Or il existe déjà pour ce faire un cadre qui concerne quasiment tous les lycéens des filières générales, technologiques ou professionnelles, celui des programmes officiels d’histoire et de l’étude de la Seconde Guerre mondiale.

Laissons donc aux enseignants d’histoire-géographie leur autonomie pédagogique dans leur façon d’aborder l’enseignement de la Résistance : nombreux sont ceux qui s’appuient déjà sur ces dernières lettres de fusillés dont un recueil récent offre un large choix et permet une utilisation approfondie seule à même de dépasser le registre émotionnel, avec des lettres complémentaires à celle de Guy Môquet dans lesquelles certains de ces « héros » reviennent sur les raisons de leur « entrée en résistance » (Guy Krivopissko, La vie à en mourir. Lettres de fusillés (1941-1944), Paris, Tallandier, 2003). Seul le cadre de cet enseignement structuré permettra d’aborder l’histoire dans sa complexité et de ne pas en rester à sa caricature voire à son déni, la reconstruction d’un passé « sans histoire » défendue par Nicolas Sarkozy.

mis en ligne le mardi 22 mai 2007
par ML



  
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