Ces enfants qui ont du mal à apprendre

Ces enfants qui ont du mal à apprendre

Les enfants souffrant de troubles de l’apprentissage ne sont pas suffisamment repérés ni pris en charge. Une prise de conscience se fait jour et certains enseignants se mobilisent. Enquête à Marseille

Les premiers troubles de Nicolas se sont révélés en maternelle. « Sa maîtresse m’avait dit : “Il ne se sent pas concerné par les consignes”, se souvient Sophie Pero, sa maman. On a fait alors tous les bilans médicaux, ORL, visuels... En vain. » Nicolas a réussi à apprendre à lire avec un peu de retard, est passé péniblement en CE1, puis en CE2, où il s’est mis à décrocher complètement.

« Il était brouillon, maladroit, n’arrivait pas à nouer ses lacets, boutonnait ses chemises à l’envers, écrivait en phonétique et ne parvenait pas à se concentrer. Sa maîtresse ne savait pas comment l’expliquer, car il était plus en avance sur certains sujets, où il faisait preuve d’intelligence ; il avait une culture personnelle qu’il restituait notamment à l’oral... Il réussissait un jour un exercice et pas le lendemain. Tout le monde s’énervait sur lui. Sans que jamais personne ne puisse mettre de mots sur ses troubles... »

Nicolas avait alors 10 ans, et on voulait le mettre dans une classe spécialisée, avec des enfants atteints de troubles plus graves (comme l’autisme ou la trisomie), quand sa maman a découvert « un peu par hasard », que Nicolas était « dyspraxique ». « Je suis tombée sur le site www.dyspraxie.info, où on en décrit les symptômes. Je me suis dit aussitôt : je suis en train de lire les problèmes de mon fils ! »

Sophie Pero découvre également sur ce site les bilans et les démarches à effectuer, pour que son trouble soit reconnu comme handicap et qu’il puisse poursuivre sa scolarité avec un accompagnement spécifique. Nicolas a donc pu terminer son cursus primaire dans l’école Louise-de-Marillac (près de Marseille), avec une AVS (auxiliaire de vie scolaire) à mi-temps, un ordinateur portable et la mobilisation de l’équipe éducative. Aujourd’hui, à 12 ans et demi, il vient d’entrer en sixième dans un collège public voisin, où il partage une auxiliaire de vie scolaire avec deux autres enfants.

Le parcours du combattant

Détection longue et difficile, intégration scolaire compliquée et chaotique : tel est le parcours du combattant que connaissent aujourd’hui de nombreux parents d’enfants atteints de ces troubles, qui ne sont pas toujours repérés à temps, ni correctement pris en charge. « Certains enfants mettent alors en place des stratégies de compensation épuisantes. Ils vont se retrouver découragés ou révoltés à l’adolescence. Et beaucoup vont devoir sortir du système scolaire », déplore Sophie Pero, qui se retrouve aujourd’hui déléguée territoriale (dans les Bouches-du-Rhône) de l’association « Dyspraxique mais fantastique ».

Car si les dyslexies simples commencent à être mieux connues, les autres dysfonctionnements (notamment la dyspraxie...) sont plus méconnus, les hôpitaux de référence sont débordés (il faut souvent un an d’attente pour consulter un spécialiste) et les enseignants ne sont pas formés pour les repérer ni les prendre en charge.

« Pour l’instant, on est obligés de se former nous-mêmes, quitte à se tromper et à recommencer », souligne Marie-Paule Biondi, l’institutrice, qui s’est occupée en CM1 du petit Nicolas. À force de tâtonnements successifs, elle a mis en place les moyens pédagogiques pour qu’il puisse suivre dans sa classe : exercices répétitifs, bien organisés spatialement, reformulation des consignes, etc. « Des techniques, précise-t-elle, qui profitent aussi aux autres élèves qui n’ont pas bien écouté ou pas tout compris tout de suite. »

C’est aussi en se formant auprès des professionnels de santé et des membres d’associations comme « Hyper Supers TDAH France » qu’elle a pu apprendre comment se comporter à l’égard d’un enfant dysphasique et hyperactif qu’elle avait dans sa classe l’an dernier, et lui proposer par exemple des exercices plus rapides mais qu’il comprend tout de suite, pour que les quelques minutes d’attention dont il est capable soient pleinement utilisées... « Car ce n’est pas à ces enfants de s’adapter à l’école, insiste-t-elle, et c’est pourquoi le mot intégration me gêne, mais à l’enseignant de s’adapter à eux. »

Des enseignants qui se mobilisent

De la même manière, Laurence Soulard, professeur d’anglais au collège Ubelka à Auriol, se bat depuis plusieurs années pour que les enfants dyslexiques qui se sont trouvés sur son chemin arrivent à s’en sortir. Parce que, tout simplement, elle ne supporte pas « de voir ces enfants souffrir » et arriver au collège « démotivés, anéantis ». « Il y a cinq ans, je me suis retrouvée avec une gamine de sixième qui ne savait pas lire, avait des problèmes pour écrire, mais une intelligence parfaitement normale. J’ai appris qu’elle avait une dyslexie sévère diagnostiquée dès la maternelle mais dont les enseignants du primaire n’avaient pas tenu compte. Je trouvais profondément injuste qu’un enfant qui travaille n’y arrive pas pour des raisons médicales. »

Elle décide alors de l’aider, se met à « farfouiller un peu partout », assiste à des colloques, rencontre des spécialistes, refuse de se laisser décourager : « Apprendre l’anglais, pour un dyslexique, ce n’est pas possible, m’a dit une formatrice. Moi, je me suis dit : ce n’est pas possible que ce ne soit pas possible. » À force de persévérance, et en mettant en place quelques méthodes, qu’elle demande à ses collègues d’appliquer, elle réussit à faire progresser cet enfant. Aujourd’hui, le collège d’Auriol accueille une douzaine d’enfants atteints de troubles divers (dyslexiques, dyspraxiques...), auxquels s’ajoutent ceux qui ne sont détectés qu’au collège, qui bénéficient de projets personnalisés de scolarité (PPS). « On a décidé, explique Laurence Soulard, de ne pas les évaluer sur ce qu’ils ne savent pas faire : on ne note pas l’orthographe, ou uniquement sur une dictée de mots qu’ils ont préparée. Pour les contrôles, ils ont droit à un tiers-temps supplémentaire. On imprime aussi les cours afin d’éviter que leurs parents, le soir, ne s’énervent en leur reprochant d’écrire mal. »

Des moyens insuffisants

Compter sur la bonne volonté et la motivation des enseignants : c’est ce qu’a dû faire aussi le principal du collège Yves-Montand à Allauch (près de Marseille), quand le rectorat lui a confié l’an dernier, « à titre expérimental », trois élèves de sixième dyspraxiques, aidés par une auxiliaire de vie scolaire. Il a cherché alors des enseignants volontaires. « Nous n’avions ni formation ni connaissances particulières de ces troubles, explique Bernard Colini, enseignant en éducation physique, qui a accepté de devenir leur professeur principal. Un jour, par exemple, j’apprenais à ma classe à faire des nœuds d’escalade, quand j’ai entendu un des élèves dyspraxiques murmurer : “Je n’arrive même pas à faire mes nœuds de chaussures et on voudrait que je fasse des nœuds d’escalade !” »

L’AVS chargée de s’en occuper, ne savait pas vraiment ce qu’était la dyspraxie, et les trois enfants dont elle avait la charge en présentaient des formes différentes et n’avaient pas les mêmes besoins. « Heureusement, dit-elle, j’ai beaucoup discuté au portail avec les mamans, qui m’apprenaient les gestes à effectuer. Les parents ont plus d’expérience que nous, même s’ils tâtonnent aussi un peu. » Les enseignants ont adopté quelques « petits trucs » (écrire plus gros, plus clairement, aérer leurs devoirs, passer à la ligne, faire des photocopies), même si certains persistaient à écrire leurs contrôles à la main. « Finalement, l’année s’est bien passée, poursuit Bernard Colini, les trois élèves ont obtenu des résultats honorables qui leur ont permis de passer en cinquième. »

Mais il ne cache pas ses craintes face à l’avenir. « Nous sommes d’accord pour accueillir des enfants handicapés ou en difficulté, dit-il. Mais il faudrait une formation, ou au moins une information dispensée à tout le monde. Il faudrait alléger nos effectifs. Quand, dans une même classe, nous avons plusieurs élèves dyspraxiques ou dyslexiques, certains ont des problèmes de comportement qu’on ne maîtrise pas et qui peuvent se compliquer à l’adolescence, ou qui peuvent rendre jaloux ou agressifs d’autres élèves. On a conscience des problèmes de ces enfants, on est prêts à les aider, mais on n’en a pas vraiment les moyens. »

Christine Legrand LA CROIX

mis en ligne le mardi 18 septembre 2007
par ML



  
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