L’adolescence, l’âge de tous les possibles

Entre 13 et 18 ans, tout est encore possible. C’est l’âge où on refait le monde, l’âge de nouvelles expériences, des choix d’avenir et des prises de risques. L’âge du pire et du meilleur. Or le meilleur est souvent sous-estimé

N’en déplaise à l’auteur de Tout se joue avant 6 ans (1), ce livre qui a fait fureur dans les années 1970, à l’adolescence, tout n’est pas encore joué. L’importance accordée aux premières années de la vie dans la construction de l’enfant ne doit pas laisser croire en effet que le développement de l’être humain est définitivement figé à l’âge de raison. Et dans ce cheminement permanent qu’est la vie, l’adolescence représente une étape majeure qui ouvre un nouveau champ de possibles. À commencer par cette capacité de « réparer », de panser certaines blessures plus ou moins profondes vécues dans la petite enfance. Anne Parcourart, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des adolescents ayant subi des traumatismes précoces, y croit fortement : « À cet âge où le jeune est "poussé en avant", est habité par des pulsions de vie d’une force extraordinaire, s’il rencontre des adultes solides et confiants, il a toutes les chances de s’en tirer. Parfois même, il développe une force de caractère qui le fait renverser la situation : mal aimé au départ, il devient plus qu’un autre capable d’aimer les autres. »

Sorti de la dépendance enfantine, l’adolescent se trouve devant un formidable chantier de réaménagement intérieur. « Même si, constate Alain Braconnier, médecin, psychanalyste, spécialiste des questions sur l’adolescence (2), les enfants d’aujourd’hui sont plus autonomes, plus matures, ont perdu une certaine naïveté dans certains domaines, l’adolescence reste toujours ce moment unique des premières fois, du premier amour, de la première interrogation personnelle sur le sens de la vie, de la première décision à prendre seul, du premier voyage initiatique sans les parents. »

C’est l’âge des grands choix d’orientation, de l’ébullition des idées, des grandes questions philosophiques et spirituelles. « À 3 ans, explique Anne-Marie Charicourt, psychologue et animatrice d’un Point écoute jeunes à Quimper, l’enfant pose ses premières grandes questions existentielles. Ce sont les mêmes interrogations, observe-t-elle, qui reviennent à l’adolescence. Mais le jeune ne se contente plus des convictions de ses parents, il cherche à se forger ses propres opinions. »

Et les adolescents d’aujourd’hui sont habités par les mêmes idéaux que ceux d’hier - connaître le bonheur et l’amour -, souvent le même enthousiasme et la même capacité à se ranger du côté des victimes et dès lors à se mobiliser pour les causes humanitaires, même si, comme le note Alain Braconnier, les adolescents subissent aussi l’influence de l’individualisme et de l’argent qui imprègnent notre société.

Bien sûr, aujourd’hui comme hier, ces premières expériences ne se vivent pas sans craintes ou hésitations. L’âge de tous les possibles, l’adolescence est aussi celui de tous les paradoxes. Ainsi, il est fréquent de voir un jeune de 13-14 ans revendiquer haut et fort son autonomie en claquant la porte de la maison et revenir un quart d’heure après se coucher sous la couette, les yeux rivés devant l’écran de télévision, dans la chaleur du cocon familial... Pour s’affirmer et devenir lui-même, le jeune doit pouvoir se comporter, penser, comme ses « pairs », mais aussi se différencier et s’opposer « au père ».

Tous les possibles et tous les paradoxes

Or si les copains, les « pairs » sont toujours présents, il semblerait que les pères manquent parfois à l’appel de cette confrontation, comme le rappelle Joël Gendreau, psychosociologue : « Aujourd’hui, explique-t-il, la fonction paternelle, dans la réalité comme dans ses représentations symboliques, est souvent incertaine ou mise à mal. Il manque à bien des jeunes de pouvoir rencontrer des adultes qui, sans mépris pour eux, acceptent d’entrer en conflit avec eux. » Car les adolescents ont besoin qu’on leur pose des limites. Comme ils ont besoin aussi, pour s’éprouver eux-mêmes, de les franchir. L’adolescence, c’est l’âge des premières cigarettes, des premières « cuites », l’âge où on enfreint de nouveaux interdits. Certaines « conduites à risques » des adolescents peuvent même constituer une forme d’apprentissage : le psychiatre Stanislas Tomkiewicz parlait à leur propos de « conduites d’essai ». « Les adolescents aiment prendre des risques : c’est devenu une banalité de le dire. Mais ce que l’on dit moins, souligne Anne Tursz, pédiatre, épidémiologiste et directeur de recherche à l’Inserm, c’est que les adolescents n’ont pas en réalité de comportements plus risqués que les adultes : ils boivent moins d’alcool que leurs aînés, et ont dans le domaine de la sexualité, des comportements plus sages et plus prudents que les adultes. » De la même manière, poursuit-elle, « on parle de crise d’adolescence, mais il y a une façon oscillante d’être stable ou en crise à différents moments de sa vie. Or, à la différence des jeunes enfants ou des vieillards par exemple, on ne leur pardonne rien. »

« L’adolescence, c’est le meilleur et le pire, résume Patrice Huerre, psychiatre d’adolescents (3). Et le meilleur est souvent sous-estimé. » Certes, c’est l’âge où on peut basculer vers le pathologique, les comportements déviants, les décrochages scolaires, la marginalisation. L’âge où peuvent émerger les troubles psychiques, les dépressions, les tentatives de suicides... « Ces pathologies, précise-t-il, ont sans doute toujours existé et ne sont pas plus fréquentes que chez les adultes. Ce qui est nouveau, nuance-t-il, c’est que cette frange de la population juvénile est peut-être plus vulnérable aujourd’hui, car les balisages sociaux, les rituels (religieux, militaires) qui jalonnaient le passage de l’enfance à l’âge adulte se sont effacés ou sont devenus flous. »

Aujourd’hui, rien ne semble tracé d’avance. On n’est plus notaire ou boulanger de père en fils, on choisit librement son conjoint... : chacun est théoriquement en mesure de décider de sa vie, de son orientation scolaire, professionnelle, affective. Cette ouverture des possibles, souligne Patrice Huerre, est un avantage pour la majorité des jeunes, qui vont en tirer profit, gagner en créativité. Mais ceux qui sont moins bien « équipés » que les autres (au niveau psychique, socioculturel, économique, familial), vont voir leurs difficultés accrues du fait de ces libertés nouvelles. Et ces adolescents les plus fragiles auront d’autant plus besoin d’adultes qui les accompagnent, les soutiennent, les contiennent, qu’ils manquent de repérages et de points d’appui sociaux pour les étayer.

Mais la grande majorité de jeunes vont bien, et ces plus grandes libertés, cette plus large palette des possibles les enrichissent. « Les jeunes de cette nouvelle génération, dit-il, ont une plus grande capacité de parler de ce qu’ils éprouvent, de ce qu’ils pensent, de ce qui leur convient... Ils ont une créativité, une capacité d’inventer et de se lancer dans l’avenir avec une ouverture peut-être plus grande que leurs aînés "le monde, c’est leur pays". Et c’est encore un des travers du monde adulte, de ne pas savoir les entendre et les valoriser. »

Agnès AUSCHITZKA

Christine LEGRAND

(1) De Dodson Fitzhugh, éd. Marabout, 316 p., 5,90 Euro.

(2) Auteur du, éd. Odile Jacob, 584 p., 25,15 Euro.

(3) Auteur de , éd. Odile Jacob, 304 p., 22 Euro.

mis en ligne le mercredi 15 octobre 2003
par ML



  
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