Le bac bouc émissaire des tenants d’une école élitiste

Le bac bouc émissaire des tenants d’une école élitiste

mardi 12 juin 2007

Manoeuvres idéologiques, fausse nostalgie de l’école d’hier, ce diplôme et l’université sont la cible de toutes les attaques. Alors que les compétences exigées ont évolué.

Si le baccalauréat est un marronnier, la question de savoir ce qu’il vaut en est le fruit, - enrobé dans sa coque épineuse d’angoisses et de préjugés.

À l’heure où les copies se dispatchent dans les salles d’examens, le problème turlupine - décrocher son bachot, et après ? - et se fait phagocyter par les discours mi-alarmistes, mi-nostalgiques de ceux qui diagnostiquent une baisse incontestable du niveau de connaissances exigé lors de cet examen. Dévalorisé, soldé, donné à tous...

La valeur bac régresserait. Et si le nouveau ministre de l’Éducation nationale s’attachait, la semaine dernière, à le décrire comme un « véritable examen, pas du tout bradé », l’affirmation de sa dégradation n’en inonde pas moins les tribunes. « À quoi sert encore le bac ? » s’interroge cette semaine le magazine le Point, sous un titre de une taxant l’éducation de « désastre national ».

Le taux de réussite exceptionnel constaté l’an dernier (82 % toutes filières confondues, 89 % en S), après, en outre, plusieurs semaines de luttes anti-CPE, est venu conforter cette idée que les correcteurs seraient de plus en plus indulgents à l’égard des élèves, pour ne pas dire laxistes.

Le bac d’aujourd’hui est-il moins exigeant que celui d’hier ? « Il n’existe pas d’études qui permettent de l’affirmer », explique - Marie Duru-Bellat, chercheuse à I’Institut de - recherche sur l’éducation (IREDU) (1).

« Que l’on ait fait preuve de volontarisme pour permettre à plus de jeunes d’accéder au niveau bac, c’est certain : personne ne défendrait l’idée que toutes les inégalités ont été gommées , poursuit la chercheuse. En - revanche, s’il s’agit d’affirmer que le - niveau des connaissances a baissé, globalement, on ne sait pas. » Parler de moyenne générale des notes n’a pas de sens, poursuit-elle, quand le nombre de bacheliers a crû de façon exponentielle jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. « Lorsque l’on - établit une moyenne entre 600 000 personnes, celle-ci est forcément plus faible que lorsqu’on l’établit entre 200 000. » Au reste, qu’est-ce que le niveau ? Ni plus ni moins la somme de ce que savent les élèves, autrement dit des connaissances - accumulées au cours de leur scolarité. Or ces connaissances ont évolué, de même que les modalités de leur - évaluation et que la nature des bacs eux-mêmes. Apparu au milieu des années quatre-vingt, le bac professionnel a mis en jeu des - disciplines - jusqu’alors ignorées du lycée. Quant aux - matières générales, leur contenu s’est aussi transformé. « On ne mesure tout simplement pas les mêmes choses qu’il y a trente ans », conclut Marie Duru-Bellat.

Présidente de l’Association française des professeurs de français (AFPF), Viviane Youx illustre par l’exemple : « Il y a vingt ans, l’approche de la littérature était assez impressionniste : pour l’élève, il s’agissait de dire, a priori, pourquoi un texte lui plaisait ou non. » Cette approche est à présent plus rigoureuse, - assure-t-elle, et demande aux bacheliers de maîtriser des outils stylistiques et de prendre ses distances avec l’oeuvre étudiée pour mieux s’en approprier les ressorts. « Et si l’on parle d’exigences, rappelons que la France est l’un des rares pays à maintenir l’enseignement de la littérature depuis l’école primaire jusque dans le secondaire, bac pro compris. » Incontestée, en revanche, la baisse de niveau déplorée en orthographe. De même que celle constatée en algèbre. « Les élèves de terminale électrotechnique ont des difficultés à poser des opérations simples à une inconnue », - explique Pascale Pombourcq, présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP), « et les terminales S bloquent sur les racines carrées ».

Et de rappeler amèrement que le nombre d’heures consacrées aux mathématiques a chuté. « Depuis 1992, les élèves ont perdu l’équivalent de deux ans de cours de maths entre la sixième et la terminale. »

Elle n’en réfute pas moins l’idée selon laquelle le niveau général aurait chu. « On interroge aujourd’hui les élèves sur des - restitutions d’organisation de connaissances : ce point n’était, à mon époque, pas abordé avant la licence », - assure-t-elle. Quant à la transformation de la maquette du bac S en 2003, elle a permis de parer à l’effet bachotage. « Avant, l’épreuve ne contenait que 2 exercices, aujourd’hui 4 à 5... » Bref, les notions livresques auraient cédé la place aux - exigences d’analyse, de recherche et de - discernement, affirment beaucoup, posant du même coup la question de la finalité de l’école. Alors que l’ambition d’atteindre les 80 % d’une classe d’âge au niveau bac reste - d’actualité, celui-ci tend à devenir le niveau culturel moyen. Où se lit l’enjeu de la redéfinition de son contenu, jamais réellement opérée. Troquant la notion de « culture commune » par celle plus étriquée de « socle commun », la loi Fillon de 2005 se contentait de hiérarchiser les savoirs à maîtriser à l’issue du collège, lesquels étaient ramenés, en outre, aux connaissances mécaniques du lire-écrire-compter.

Reste la question clé : celle de la vocation du bac lui-même. Dévalué - hormis certaines filières professionnelles - sur un marché du travail de plus en plus exigeant en termes de formation, il n’en reste pas moins outil de sélection. Le bac ne sert plus à grand-chose ? Cela n’est vrai que pour ceux qui le décrochent. Les autres, dans leur majorité, se voient disqualifiés de la poursuite d’études ou des emplois bien rémunérés. « Et alors que la démocratisation est en panne, le bac est un révélateur de la ségrégation scolaire », insiste Philippe Watrelot, secrétaire général adjoint du CRAP-Cahiers pédagogiques et formateur à l’IUFM de Paris. Les enfants d’ouvriers restent majoritaires à ne pas l’avoir ou à s’orienter vers les filières professionnelles.

C’est pourtant bien, au final, de cette - démocratisation dont pâtit l’image du bac. « Quand 20 % de gens l’avaient, c’était une sacrée Rolex, illustre Philippe Watrelot. - Aujourd’hui que 63 % d’une classe d’âge l’obtient, ce n’est plus un luxe. » Tentant, dès lors, d’affirmer qu’on le brade. « Mais c’est faire une grave confusion », poursuit-il. Le bac n’est pas un concours à visée élitiste : c’est une manière de valider les connaissances. » Et la confusion n’est sans doute pas fortuite quand elle induit les attentes nourries à l’égard de l’école : élever le niveau général des connaissances ou sélectionner les élèves ?

(1) L’Inflation scolaire : les désillusions de la méritocratie, le seuil, 2006.

L’Humanité du 11 juin 2007

mis en ligne le dimanche 17 juin 2007
par ML



  
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