De bonnes notes

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jeudi 7 juin 2007

L’essai de Denis Meuret confronte les systèmes scolaires français et américain, et fait tomber bien des préjugés.

Denis Meuret Gouverner l’école. Une comparaison France/Etats-Unis Puf, 220 pp., 24 €.

Comparaison n’est (peut-être) pas raison, mais cela lui rassemble beaucoup lorsqu’elle est conduite selon les règles de l’art, et, ne pratiquant ni l’autojustification complaisante ni le dénigrement automatique de l’autre terme, s’applique moins à fermer une question qu’à l’élargir.

Et la question posée par Gouverner l’école. Une comparaison France/Etats-Unis prend chaque jour de l’ampleur, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Denis Meuret, l’auteur de cet ouvrage de fond, provocant et innovant, est professeur en sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne. Fatigué des antiennes sur la foncière infériorité du modèle américain de l’éducation par rapport au nôtre et de l’alliance sacrée pour s’en défendre ou ne pas y dériver, soudant parfois des intérêts pas nécessairement convergents d’éducateurs, gestionnaires, syndicats, administrateurs et/ou politiciens, il est allé voir sur place. De ses interrogations est sorti ce livre sur le gouvernement scolaire, au sens d’une gestion du système éducatif entendue comme « art d’atteindre des objectifs fixés au préalable » . Il lui aura fallu évidemment traverser une littérature sur le sujet qui s’étoffe de plus en plus, remettre en perspective des recherches imposantes dans les deux pays, faire fructifier l’enquête dans quelques établissements scolaires du primaire et du secondaire qu’il a menée en Floride, dans l’Indiana, à New York, en 2004, et les compléter avec des entretiens avec une vingtaine de responsables administratifs français et américains.

Au fond, le sujet de Gouverner l’école est la façon dont le rôle et la conduite des systèmes scolaires sont affectés par « la confrontation entre la tradition nationale et la modernité ». En effet, l’opposition indéniable, en France et aux Etats-Unis, sur la nature de ce qui doit être transmis à l’école et sur la meilleure façon de le faire, ne date pas d’aujourd’hui. Elle renvoie à deux visions politiques sur la nature de la société elle-même remontant à Locke et à Rousseau, et, pour les aspects plus proprement liés à la question de l’éducation, à John Dewey et à Emile Durkheim.

Au tournant des XIXe et XXe siècles, le philosophe du pragmatisme et le fondateur de la sociologie partagent la même foi dans le progrès, mais l’Américain donne comme mission à l’école d’oeuvrer en vue d’une démocratie moderne là où le Français veut la mettre au service de la modernisation de la société. La différence n’est pas mince, qui concerne à la fois l’individu, la société, le savoir et la capacité, plus ou moins optimiste, d’une politique scolaire d’en accompagner l’épanouissement réciproque.

Pour Durkheim, l’individu est potentiellement dangereux pour lui-même et pour la société. Aussi le rôle de l’éducation est-elle de contenir les pulsions des élèves et la mission héroïque du maître celle du dessillement ; autant dire qu’il suffit d’exposer la vérité pour que se dissipent les fausses croyances de l’individu, de la famille, de la société... L’école, telle que l’entend Dewey, n’a pas à produire des individus moraux (ils le sont déjà), mais à viser l’ empowerment, la capacité d’agir sur le monde.

Dans les années 70, ces deux modèles ont commencé en France comme aux Etats Unis à montrer leurs limites face à la massification scolaire. Ainsi le système américain a produit toute une batterie d’objectifs et de moyens pour un nouveau gouvernement de l’école (maîtrise par tous des compétences fondamentales, acquisition des connaissances standard mesurables par test, autonomie des établissements et des enseignants, mais aussi obligation de rendre des comptes...).

En France, en revanche l’affaiblissement du système central n’a pas fait émerger de nouvelles régulations de proximité aussi significatives. De même, paraît difficilement transposable un concept comme celui de accountability ­ la régulation par les résultats, et plus généralement les dispositifs par lesquels un agent est rendu responsable par rapport à un autre (l’élève vis-à-vis de l’enseignant, l’école vis-à-vis des usagers ou du district).

Les faits sont là et tordent le cou aux préjugés les mieux partagés. Aux Etats-Unis, les écoles privées n’accueillent que 10 % de la population scolaire (20 % en France). Et si la qualité de l’enseignement des mathématiques donne un léger avantage au secondaire français, tous les indicateurs semblent montrer que le primaire et le supérieur aux Etats Unis devancent dans les résultats les degrés correspondants en France (35 % de diplômes à l’université contre 15 % dans la population active). Cela ne veut pas dire, conclut Denis Meuret, que notre système (avec un Etat qui a montré à plusieurs reprises une capacité certaine à moderniser l’école) soit pire que celui américain : juste qu’il craint le nouveau plus qu’il ne l’anticipe.


Libération du 7 juin 2007

mis en ligne le vendredi 8 juin 2007
par ML



  
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