Quand Internet tisse la toile familiale

Communiquer avec ses petits-enfants, retrouver des cousins perdus de vue, garder le contact avec des enfants, etc. Tout cela - et beaucoup plus encore - est possible et facile grâce à la fameuse connexion Internet et un écran d’ordinateur ! Possible donc pour les 28,6 millions d’internautes que Médiamétrie a recensés au quatrième trimestre 2006.

Point besoin d’être expert pour repérer les nouveaux réflexes qui s’emparent des parents, des grands-parents, des enfants, des cousins, etc. qui savent où et comment se retrouver sur la Toile. Ainsi, dans les familles « branchées », relever sa messagerie électronique personnelle et cadenassée va désormais de pair avec le « Tu as pris le courrier ? », lancé à la cantonade par l’un ou l’autre. À la différence près que, sur la toile, le facteur ne cesse de passer et de repasser !

« Le courriel, c’est tellement commode, explique Jeanine Blanchard, 68 ans. Vous avez besoin d’un renseignement, vous voulez donner une nouvelle, connaître l’avis de chacun, signaler une absence, organiser une fête, quelques clics et hop ! l’affaire roule », dit-elle, heureuse d’accéder elle-même à l’outil magique. « Avant, ajoute-t-elle, c’était très compliqué et parfois on renonçait au projet. »

Un petit signe aux parents éloignés et isolés

Le courriel, c’est aussi l’occasion d’envoyer un petit signe aux parents éloignés et isolés. Ainsi, Élisabeth Nouvelle, 48 ans, raconte comment lorsqu’elle cherche une recette, elle envoie un SOS électronique à sa mère qui habite à 800 kilomètres. « Bien sûr, je pourrais aller sur un des sites de cuisine du Web, mais je préfère écrire un courriel à ma mère, dit-elle. Cela lui fait plaisir. »

Pour beaucoup d’internautes, la messagerie électronique est le principal sésame de cette communication de l’instantané qui transgresse les limites du temps et de l’espace. Comme dans la vraie vie, il y a ceux qui classent, qui gardent ou qui jettent. Il y a les super-organisés et ceux qui se laissent déborder et ne font jamais le ménage, les esthètes qui écrivent en couleur, les créatifs qui illustrent d’un coup de pinceau leurs propos, etc. Pour le fond, il y a les réactifs, les prudents, les fantaisistes, les blagueurs, les accros des récits ou des expositions photo, etc.

Certains internautes échangent également sur un « site familial », sorte de club privé réservé aux membres d’une même famille. Il est parfois créé de toutes pièces par un de ses membres. France Plourier, récente retraitée, mère et grand-mère, s’est lancée dans cette aventure avec bonheur. « Mon travail, dit-elle, m’avait familiarisée avec Internet. Comme nous sommes nombreux et répartis aux quatre coins du monde, j’ai eu l’idée de construire notre site familial. »

"J’anime le site avec une de mes petites-filles. C’est encore plus amusant"

Mais souvent, les créateurs de ce type de site s’essoufflent assez vite, faute de trouver de l’aide auprès d’autres membres de la famille. Ce ne fut pas le cas de France, « car, poursuit-elle, cette année, j’anime le site avec une de mes petites-filles, venue habiter chez moi pour ses études. C’est encore plus amusant même si parfois, nous discutons dur. » Et de donner l’objet du dernier débat. « Ma petite-fille voulait faire un sondage d’opinion auprès de notre famille à la veille de l’élection présidentielle. Avouez que la réponse n’était pas évidente », confie France dans un rire plein de sagesse.

Reste que, le plus souvent, les adeptes du site familial s’adressent à une société spécialisée qui offre en ligne un cadre préfabriqué et des services gratuits ou/et payants tels que les traditionnels agendas familiaux, les albums photo, les « rappels » anniversaire, et pour quelques-uns, une aide à la pratique généalogique.

Pour Toussaint Roze qui tient les manettes virtuelles de « notrefamille.com », portail créé en 2000 et leader francophone du genre, ce besoin de retrouver ses racines et de se situer dans sa lignée est souvent premier, les échanges venant en second.

Faciliter la communication familiale

« Dans un monde aussi individualiste que le nôtre, dans des familles qui se recomposent assez souvent, explique-t-il, les gens veulent se raccrocher aux branches de leur arbre généalogique, réaffirmer leur identité. »

Faciliter la communication familiale, voilà donc une des œuvres plutôt sympathiques de notre cyber-planète. Pour autant, doit-on penser qu’hors de l’Internet, il n’y a point de salut pour la famille, souvent, il est vrai, en mal de dialogue ? Ce serait imprudent car Internet reste un outil et les personnes qui en font usage restent les mêmes, qu’elles soient réunies à la table familiale ou reliées virtuellement !

« Il faut absolument faire la part de la magie technologique et de la réalité pratique, note Philippe Breton, sociologue et auteur de Le Culte d’Internet : une menace pour le lien social ? (1). Autrement dit, la connexion ne fait pas la relation.

Que sait-on d’ailleurs de l’impact d’Internet sur la qualité des relations familiales ? « Trop peu de données globales existent à ce sujet, en France, regrettent Jean Delprat et Jean-Pierre Quignaux, spécialistes des nouvelles technologies à l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Seule référence : le sondage réalisé en mai 2000 auprès de la population américaine selon lequel 60 % des femmes et 51 % des hommes estimaient qu’Internet contribuait à améliorer leurs relations familiales (2).

L’illusion de la présence

« En fait, souligne Paul Larchet, psychologue et thérapeute familial à Brest, ce n’est pas le mode de communication qui fait la qualité d’une relation, mais l’authenticité qui s’exprime entre les personnes. »

Pour en avoir fait l’expérience, Paul et Marguerite Martin en sont convaincus. Quand Laura, leur fille aînée, est partie à 23 ans, poursuivre ses études en Australie, très vite, le courrier électronique est devenu le moyen de correspondance privilégié entre eux. Pourtant, très vite aussi, les messages de Laura n’ont pas suffi à satisfaire les attentes de ses parents. « Elle disait toujours la même chose, c’est-à-dire pas grand-chose, nous n’avions même pas le ton de sa voix pour deviner quel était son véritable état d’esprit, si elle était heureuse ou malheureuse. »

C’est en renouant une relation téléphonique, que Pierre et Marguerite ont compris que leur fille était en fait en grande difficulté. « Nous nous écrivions trois fois par semaine, mais en réalité, nous avions perdu le contact », avoue Pierre.

Si Internet permet parfois de renouer avec les uns, de maintenir le contact avec d’autres, d’organiser de magnifiques rencontres, il ne fera jamais exister ce qui n’existe pas. Seules les familles qui savent déjà dialoguer tirent parti des avantages du Web. Gare au culte d’Internet, donc, qui, en donnant l’illusion de la présence, pousserait à négliger d’autres modes de communication ou pire à oublier, quand elle est possible, la force de la rencontre physique : là où le sourire, le regard, la voix, les gestes révèlent de la personne ce qui est toujours au-delà des mots.

Agnès Auschitzka

La Croix

(1) Éd. La Découverte, 128 p., 6,40 € (2) Enquête réalisée par le Pew Research Center for the people and the Press.

mis en ligne le mercredi 2 mai 2007
par ML



  
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