Pourquoi l’art doit entrer à l’école ?

Par Alain FRANCON, Michel VITTOZ LIBERATION jeudi 29 mars 2007

 [1].

L’art n’est jamais entré dans les écoles. Il y a de bonnes raisons à cela : l’art est l’envers exact de tout ce qui peut s’enseigner. L’art a comme fonction de décomposer tous les savoirs de la société afin qu’ils puissent se renouveler. Il est création du nouveau sur les ruines de l’ancien ­ il a besoin de l’ancien, mais pour s’en nourrir, et donc sans cesse il le mastique et le détruit. Le mettre à l’école ­ l’outil de transmission des savoirs de la société, dont il assure la pérennité ­, c’est tuer l’art ou tuer l’école.

Et pourtant...

A l’école, les enfants apprennent beaucoup de choses très utiles. Une des choses les plus utiles qu’ils apprennent au fil des ans est l’écart qu’il peut y avoir entre la façon dont ils imaginent le monde et la façon dont la société a besoin qu’ils l’imaginent.

La connaissance de cet écart est très utile à la société. Une société composée d’enfants qui continueraient à imaginer qu’ils sont le centre du monde et qu’il suffit de crier assez fort pour qu’un géant maternel se penche sur eux et leur donne à manger ne tarderait pas à voir tous ses enfants mourir de faim. La société a besoin d’imaginer les choses d’une façon qui lui permette de survivre. Ainsi, elle crée les représentations du monde qui lui sont nécessaires. Et ce sont ces représentations que les enfants apprennent à l’école.

Il y a très longtemps, des sociétés très évoluées ont eu besoin d’imaginer que la Terre était plate et située au centre de l’univers. Elles avaient besoin d’imaginer que l’homme pouvait entrer en relation avec les forces de la nature et qu’il existait un langage, un savoir qui permettaient de se concilier ces forces.

Quand les volcans tremblaient sous la poussée de la lave, quand l’hiver ou la sécheresse menaçaient les récoltes, ces sociétés allaient puiser dans leur savoir, dans l’histoire des faits avérés et rapportés par la tradition. Elles imaginaient alors qu’il était utile d’accomplir le sacrifice d’un fils de roi ou d’une jeune vierge. Mais les hommes, en ces temps-là, vivaient des temps barbares. Aujourd’hui, nous avons besoin d’imaginer que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du Soleil, qui se situe à la périphérie d’une galaxie, qui n’est elle-même qu’un point microscopique dans l’univers. Les sciences et les techniques nous ont civilisés.

Notre vision du monde est devenue rationnelle, mais il n’est pas du tout certain que nous soyons devenus moins barbares que nos ancêtres. En revanche, il ne fait absolument aucun doute que nous sommes devenus infiniment plus dangereux. Les forces les plus destructrices ne sont plus celles de la nature mais celles que les hommes ont concentrées entre leurs mains. Aujourd’hui c’est la clémence de l’homme qu’il nous faut implorer et non plus celle des dieux.

Autrefois, les hommes avaient compris que les dieux exigeaient des sacrifices pour apaiser leur courroux. Mais, aujourd’hui, que savons-nous de ce qu’exige l’homme ? Les sacrifices humains ne l’apaisent pas : nous ne cessons de lui en offrir, il les ignore ou les oublie. Lui faut-il des connaissances nouvelles sur le monde et sur lui-même ? De nouvelles philosophies, de nouvelles religions ? Du progrès, encore plus de progrès ? De la culture, encore plus de culture ? Rien de tout cela ne l’a jamais calmé. Depuis près de trois siècles, il s’en est littéralement gavé et sa colère n’a fait que redoubler.

Tout cela, nous le savons, fait partie des représentations du monde auxquelles notre société sait depuis un certain temps qu’elle doit se confronter. Toutes ces questions sont, d’une façon ou d’une autre, déjà enseignées dans nos écoles. Et c’est sans doute pour cela que de nos écoles monte et prospère une sourde angoisse : nous ne savons plus comment nous adresser à nous-mêmes et nous nous demandons si nous ne sommes pas en train de devenir fous.

Alors peut-être faut-il malgré tout introduire l’art dans les écoles, organiser la rencontre du savoir et de ce qui le met le plus radicalement en question, peut-être que cela n’a jamais été plus urgent pour que l’homme « apprenne » à entrer en contact avec son propre pouvoir de destruction.


[1] Alain Françon metteur en scène et Michel Vittoz dramaturge

mis en ligne le vendredi 30 mars 2007
par ML



  
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