Des milliers d’enfants ont un jour dormi dans la rue

Bambins expulsés de leur logement avec leur famille, fugueurs échouant dans les squats, adolescents venus des quatre coins du monde : ils ont pour point commun de connaître très jeunes la loi du bitume.

VICTOR * a 11 ans et jusqu’à ces derniers jours, il dormait sous une tente avec sa mère, canal Saint-Martin à Paris. En pleines vacances de février, le gamin passait son temps sur le campement des Enfants de Don Quichotte, jouant au foot avec les sans-abri, prenant sa part de l’agitation médiatique créée par Augustin Legrand. Il était même l’une des vedettes du campement, répondant avec application aux sollicitations des journalistes.

Victor et sa mère, Véronique, 45 ans, se sont retrouvés là après avoir été ballottés quelques mois d’hôtel en hôtel. « On logeait dans un très bon établissement du XIXe arrondissement. Et puis, tout d’un coup, on nous a déménagés pour nous mettre dans un hôtel miteux à Pigalle. Vous trouvez que c’est un endroit pour les mômes, Pigalle ? », demande Véronique, à la rue depuis sa rupture et son départ du domicile conjugal.

Début mars, Victor a effectué sa rentrée scolaire comme si de rien n’était. « Dans une école italienne du VIIe arrondissement », précise avec fierté Véronique, également maman d’un adolescent de 16 ans hébergé chez sa grand-mère. « Mais les deux garçons ne peuvent pas rester ensemble. Ils se tapent dessus. » Une situation ubuesque qui tarde à rentrer dans l’ordre. Véronique la rouquine et Victor, son fils aux cheveux de jais, n’ont toujours pas d’appartement. Alors, en attendant, ils sont retournés à l’hôtel.

Victor n’est pas un cas unique. Chaque année, des milliers d’enfants ou d’adolescents, français ou étrangers, seuls ou avec leurs parents, se retrouvent à un moment ou à un autre à la rue. « L’an dernier, les foyers d’hébergement d’urgence ont recensé 14 000 mineurs, le plus souvent recueillis après une expulsion », précise Nicole Maestracci, la présidente de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) qui regroupe la quasi-totalité des foyers en France.

Violences, racket, agressions sexuelles

L’immense majorité de ces jeunes a basculé après une rupture familiale. Un divorce, un accident, le chômage, le RMI et puis l’engrenage qui conduit à l’expulsion. Phénomène inquiétant : la tendance est au rajeunissement. « On croise de plus en plus de mères seules accompagnées de très jeunes enfants, remarque Jean-Michel Maucolin de l’association Aux captifs la Libération. La dernière, c’était une maman jetée dehors par son concubin avec ses deux garçons de 5 et 2 ans. On les a hébergés en foyer. »

Le maillage associatif est efficace. Maraudes, permanences téléphoniques, foyers pour les familles, pour les mères seules, pour les mineurs... les enfants, accompagnés ou pas, ne restent jamais longtemps dehors. « Il est évidemment hors de question de laisser des mineurs à la rue. Nous les repérons très vite et ils constituent une population prioritaire », précise Stefania Parigi, la directrice du Samu social.

Mais d’autres enfants des rues échappent souvent aux maraudes. À commencer par les 40000 fugueurs mineurs recensés chaque année dans le pays. En général, ces garçons et ces filles retrouvent assez vite le cocon familial. « Pour la grande majorité d’entre eux, après trois ou quatre jours, précise un commissaire de la brigade des mineurs de Paris. Les autres sont souvent ceux qui ne veulent pas rentrer. » Ceux-là bougent de squat en squat, au gré des tuyaux recueillis auprès des rencontres de passage. Mais la rue n’a jamais été aussi dure. Violences, racket, agressions sexuelles, traite, maladie... les menaces sont partout. Certaines filles peuvent en témoigner, notamment les petites Roumaines enrôlées dans des réseaux de prostitution malgré leur jeune âge. Heureusement, ce phénomène, important en 2003 et 2004, s’est aujourd’hui plutôt calmé.

Reste les milliers d’enfants du monde entier, souvent mandatés par leur famille pour aller gagner quelques euros en France. Roumains mais aussi Marocains, Chinois, Afghans, Rwandais ou Kurdes... ils sont 3 000 à 4 000 chaque année, selon les statistiques de l’Aide sociale à l’enfance. « Mais des dizaines de milliers de gamins passent chaque année en France sans jamais croiser la route de la police ou d’un travailleur social », précise Dominique Lodwick, la directrice de l’association marseillaise Jeunes Errants. Des enfants qui, après avoir parcouru des milliers de kilomètres, arrivent à Marseille, Paris, Lyon ou Calais, épuisés et désorientés. Sans attache, ne parlant pas la langue, ils dorment dans des squares ou dans des squats.

D’eux, on sait peu de chose. Ils sont très mobiles et rétifs à toute tentative de recensement. Certains tentent de rester en France tandis que d’autres poursuivent leur voyage. Enfin, quelques-uns rentrent dans leur pays d’origine. Ceux qui tentent leur chance en France n’ont pas terminé leur course d’obstacles. En l’absence de papiers d’identité, ils doivent prouver leur âge et se soumettre à un examen osseux. Problème : « Ces tests ont une marge d’erreur de dix-huit mois », explique Dominique Versini, défenseur des enfants.

Un vrai casse-tête alors que les jeunes, s’ils sont reconnus majeurs, sont considérés comme des clandestins et donc expulsables. Pour l’éviter, certains préfèrent encore retourner à la rue.

* Le prénom a été changé.

JEAN-MARC PHILIBERT Le Figaro

mis en ligne le mercredi 21 mars 2007
par ML



  
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