Zéro pointé pour le bac S !

Libération 11/01/2007

C’est un gâchis inacceptable : alors que l’on manque de scientifiques et de techniciens dans les facs et surtout dans les entreprises, le bac S continue de cumuler tous les dysfonctionnements ou presque. Les rapports qui le dénoncent se suivent mais rien ne change

Magali, 16 ans, bonne élève de première scientifique, ne sait pas encore très bien ce qu’elle fera plus tard, mais une chose est sûre, ce ne sera pas des sciences ! « Mes parents m’ont obligée à passer S, ça ne m’intéresse pas du tout, au contraire, j’ai envie de tout lâcher mais je n’ose pas. Dès que j’aurai mon bac, je passerai à autre chose. » Des Magali, les classes de première et terminale scientifiques en sont pleines. Le phénomène n’est évidemment pas nouveau, mais il gagne en ampleur, en radicalisation, attisé par l’angoisse du chômage. Résultat, une fois leur diplôme en poche, de plus en plus de bacheliers votent avec leurs pieds en partant vers d’autres horizons, cursus en commerce, sciences humaines, droit ou encore en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Ce ne serait pas si grave si beaucoup de ces filières n’étaient déjà saturées, embouteillées de diplômés en mal d’emploi. Et là où ce gâchis fait encore plus mal, c’est que, dans notre pays mais aussi un peu partout sur la planète, se creuse une pénurie de jeunes professionnels au profil scientifique ou technique.

Un bac trop sélectif

Si le nombre de bacheliers a bien explosé, passant de 60 000 dans les années 1960 à 500 000, celui des bacs S a, lui, tout juste doublé. Il diminue même depuis 1995. « Autrefois, un bac sur deux était un bac S, aujourd’hui, c’est à peine un quart », explique Daniel Duverney, professeur en classe prépa à Lille et auteur d’un rapport sur le bac S.

Certains tirent la sonnette d’alarme : « Mais donnez-nous des bacheliers scientifiques ! », s’exclame ainsi Jean-Charles Pomerol, président de l’université Pierre-et-Marie-Curie. Patron de la première fac scientifique française, il assure : « Nous pourrions aisément en accueillir deux fois plus qu’aujourd’hui et les mener à l’emploi. » Il faut dire que ces super-bacheliers, courtisés de toutes parts, n’ont que l’embarras du choix. Préférant les grandes écoles, médecine ou d’autres filières, ils ne sont plus que 15% à choisir un cursus scientifique à la fac, où, année après année, les bancs se vident inexorablement, à un rythme plus ou moins élevé selon les spécialités.

Pourquoi, alors, ne formons-nous pas davantage de bacheliers scientifiques ? En raison d’un absurde malthusianisme, d’une obsession de la sélection qui n’est sans doute que le masque de la vertu posé sur une réalité moins reluisante : « Je crois que les classes favorisées veulent des filières d’élite pour leurs enfants et qu’elles se débrouillent toujours pour les fabriquer... », suggère ainsi Pierre Arnoux, professeur à l’université d’Aix-Marseille-I et membre de plusieurs associations regroupant des enseignants en mathématiques.

Une orientation en trompe-l’oeil

En effet, les différentes séries du bac ne sont pas utilisées pour préparer les lycéens à leur futur cursus dans l’enseignement supérieur mais bien pour départager les meilleurs. D’ailleurs, après avoir longtemps nié l’existence de ce problème, l’Education nationale en convient aujourd’hui. Une vraie révolution ! Et cela en s’appuyant à la fois sur ses propres statistiques et sur une enquête de terrain menée auprès de lycées répartis dans toute la France : « Ladétermination de la série du bac est d’abord commandée par le degré de réussite en mathématiques », constate ainsi un tout récent rapport de l’Inspection générale, qui s’effraie de la possible disparition du bac L faute de candidats.

Un bac plus vraiment scientifique

Non content d’être objectivement devenu un outil de tri social - les enfants de cadres et de membres de professions intellectuelles sont largement surreprésentés en S -, le bac S n’est plus vraiment scientifique. Depuis sa rénovation, voilà une dizaine d’années, le nombre d’heures de maths a été fortement revu à la baisse et les matières littéraires ont été dotées de coefficients conséquents. « On peut obtenir son baccalauréat avec des notes médiocres dans les matières scientifiques grâce aux coefficients cumulés des matières non scientifiques », reconnaît toujours ce même rapport. Au départ, l’idée semblait bonne : faire reculer le poids des maths, favoriser l’expérimentation scientifique. Mais en fin de compte, on n’a fait qu’accentuer la suprématie de ce super-bac, devenu du coup beaucoup plus généraliste.

Le bac S offre les meilleures chances de réussite dans toutes les filières de l’enseignement supérieur, du droit à la psycho en passant par les lettres. Il dispose d’un quasi-monopole sur les classes prépas menant aux grandes écoles... et les S sont même devenus majoritaires en prépas littéraires ! Enfin, c’est encore et toujours le seul bac qui, on se demande bien pourquoi, permet de devenir kiné, sage-femme ou, bien sûr, médecin. Toujours dans ce même rapport de l’Inspection générale, le constat est sans appel : « La série S fonctionne comme une filière de sélection pour l’accès à l’enseignement supérieur... Elle accueille non seulement les meilleurs scientifiques mais aussi les meilleurs littéraires. »

Un programme indigeste et inefficace

C’est de loin le bac général dont le programme est le plus chargé, avec jusqu’à 32 heures de cours par semaine et parfois davantage, contre 26 seulement en L. Mais là n’est pas le principal souci : « En sciences physiques notamment, je défie quiconque d’y comprendre quoi que ce soit ! », lance Jean-Charles Pomerol, le président de Pierre-et-Marie-Curie, avec son franc-parler. « Pour résumer le contenu des programmes, je dirais que c’est un saupoudrage, un peu de rien sur tout, et qu’il y manque les briques essentielles », estime quant à lui Alain Maruani, professeur à Télécom Paris et animateur du groupe de réflexion sur le statut des mathématiques dans les concours d’écoles d’ingénieurs. Il ajoute : « 

On voudrait dégoûter les jeunes qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Rien de ludique, rien de stimulant. » D’ailleurs, invités à classer leurs matières par ordre de préférence, les lycéens de la série S placent les mathématiques bonnes dernières,révèle un ouvrage coordonné parle sociologue Roger Establet, « Radio-graphie du peuple lycéen ».

Poussés ou non par leurs parents, nombre d’élèves jusque-là plutôt à l’aise se trouvent plus ou moins en difficulté face à ce programme lourd et indigeste (voir encadré) : « Ma fille n’avait aucun problème jusqu’ici mais maintenant, en physique, elle peine, je me demandecomment je vais faire pour l’aider », s’inquiète Fadila, cadre dans la communication. « Le programme est très lourd. Je n’arrive même pas à aider mon fils ! », s’étonne Daniel, informaticien.

Un niveau insuffisant en sciences

Pis, le bac S n’offre plus, selon certains spécialistes, les fondamentaux nécessaires en mathématiques. Plusieurs responsables d’école d’ingénieurs et une poignée d’entreprises, parmi lesquelles EADS et Michelin, se sont récemment émus du niveau des jeunes ingénieurs. « Nous ne pouvons plus aujourd’hui assurer dans le temps imparti la formation nécessaire pour un certain nombre de fonctions », assure ainsi Alain Maruani. Maurice Porchet, professeur à l’université de Lille-I et auteur de deux rapports sur la désaffection des études scientifiques, qu’on ne peut soupçonner d’élitisme, le reconnaît : « C’est vrai, cela commence à poser de réelles difficultés. » Comme en témoigne Jean Fournié, directeur du département de premier cycle en sciences de la vie à l’université Paris-VII : « En voyant les dossiers de certains, nous constatons qu’ils vont peut-être décrocher leur bachot mais qu’ils n’auront pas le niveau pour réussir à l’université. » Le bac S, oui, mais pas à n’importe quel prix.

mis en ligne le jeudi 11 janvier 2007
par ML



  
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