Les ados, leurs parents et l’argent

Source LA CROIX

Tous les ans, au moment des étrennes, se pose le même casse-tête. Faut-il donner de l’argent aux enfants, et combien ? Daniel et Odette, 75 ans, qui, cette année encore, comptent se montrer généreux envers leurs cinq petits-enfants, confient : « Espérons qu’ils en laisseront une partie sur leurs livrets. Ils aiment tellement acheter ! Ils sont toujours à l’affût des nouveautés. Ma fille nous dit que, parfois, l’argent de poche de l’un ou de l’autre disparaît, sans qu’il sache seulement où il est passé ! » Parents et grands-parents ont un rapport paradoxal avec l’argent de leurs enfants. Ils leur en donnent, et même beaucoup, mais ils ne cessent de déplorer leur frénésie de consommation, surtout à l’adolescence.

C’est un fait, les petits Français n’ont jamais eu autant d’argent, et n’ont jamais autant été sollicités pour le dépenser. Dès la naissance, la plupart du temps, un membre de la famille leur ouvre un livret d’épargne : plus de 70 % des enfants en détiennent un à 6 ans. Puis vient l’argent de poche, vers 9 ans, selon un sondage CSA-LCL (Crédit lyonnais), 23 € mensuels en moyenne pour les 7-15 ans, soit une somme de 2 milliards d’euros annuels. Pendant l’enfance, les parents gardent en général les dépenses sous contrôle. Vers 12 ans, l’âge auquel on peut avoir un compte jeune et une carte de retrait, tout commence à changer : besoins et achats explosent.

Un pouvoir d’achat sans précédent

Depuis une vingtaine d’années, les ados sont devenus de véritables « agents économiques » qui n’ont rien de commun avec les enfants qui gagnaient leur vie à 12 ans au début du siècle dernier. Aujourd’hui, les jeunes disposent de ressources avant d’avoir travaillé : l’argent de poche, qu’ils peuvent améliorer par leurs petits boulots. Environ 18 % des lycéens exercent une activité rémunérée, selon un sondage CSA-UNL (Union nationale lycéenne). Ils consomment : les 11-18 ans dépensent 4,5 milliards d’euros par an, auxquels il faut ajouter 95 milliards (un dixième de la consommation totale des ménages) d’achats concernant toute la famille, mais dont les juniors sont prescripteurs, notamment pour les produits high-tech et de marques. Ils détiennent de l’épargne : 87 % déclarent avoir des sommes disponibles en banque, selon l’étude « L’argent des jeunes » 2004 du CSA.

Bref, les jeunes ont une familiarité avec l’argent sans précédent dans l’histoire. « Julie compare les prix. À 12 ans, elle situe précisément la valeur des choses, ce qui est très embarrassant quand elle reçoit des cadeaux », confie Anna, sa mère. Certains adolescents ne cessent de réclamer pour s’offrir tout ce dont ils estiment avoir besoin. Pour les parents, la gestion quotidienne devient un casse-tête. Ainsi, il faut bien acheter un ou deux jeans à un collégien, mais devra-t-on également lui offrir le pantalon à la mode ? Et si on cède et qu’on est sollicité le lendemain pour des baskets coûtant une centaine d’euros ?

Une cible privilégiée pour les banques

Les spécialistes anglo-saxons du marketing parlent du Pester Power (le pouvoir des pestes), pour décrire la consommation des ados. Pour avoir la paix, leurs parents cèdent sur le portable (il cessera de monopoliser le téléphone familial !), sur l’alimentation (mieux vaut un pack de sodas au supermarché qu’une canette chaque jour à la boulangerie), et les marques (il ne dira plus qu’il est le plus malheureux du collège)... Très avertis, les jeunes comparent sans cesse les avantages financiers obtenus par leurs pairs. « Notre fils Romain a toujours été bon élève et, comme plusieurs de ses copains sont payés en cas de bonnes notes, il nous a réclamé une rémunération, confie France. C’est vrai que son travail régulier est une source de satisfaction et de tranquillité pour nous. Il me semble que cela mériterait une gratification. Mais mon mari ne veut pas en entendre parler ! »

Les membres d’une même famille ne sont pas toujours d’accord sur ce qui doit rester « gratuit » dans les rapports familiaux et ce qui peut être payé. Étienne, 16 ans, amateur de jeux vidéos, a trouvé vers 12 ans le moyen de financer ses achats. « Quand je lave la voiture de mon grand-père, ou si je tonds le gazon de grand-mère, ils me donnent un billet. Mes copains me jalousent pour ça », confie-t-il, tout sourire. « Les jeunes sont confrontés aux réalités de la consommation beaucoup plus tôt. Il y a trente ans, le mot “acheter” n’était pas prononcé aussi souvent qu’aujourd’hui. Si une personne ne s’intéresse pas à la gestion assez tôt, assez vite, elle est déconnectée quand elle doit se prendre en charge », estime Élisabeth Jeand’heur, cogérante de l’éditeur français de logiciels Innomatix, qui vient de créer « Tous comptes faits Jeune », un logiciel de gestion de finances personnelles pour les 12-18 ans. En avançant l’argument d’apprendre aux jeunes à compter, les organismes financiers s’intéressent, sans s’en cacher, à leur argent. « Pour toutes les banques, les jeunes sont une cible privilégiée, souligne Sébastien Mahieux, responsable marketing chez LCL. Nous avons besoin d’eux pour renouveler notre clientèle et, quand on a capté ces clients, même s’ils ne sont pas rentables au début, il faut tout faire pour les garder et les accompagner. » Dans 80 % des cas, les premiers comptes des jeunes sont ouverts dans la banque de leurs parents, qui peuvent ainsi intervenir sur le compte, et le renflouer éventuellement, en cas de découvert. Ce qui n’est pas si fréquent, selon Sébastien Mahieux : « On est assez étonné du comportement des jeunes face à leur argent en banque. Ils ont une approche sérieuse, voire conservatrice. Ils aiment la mode et sont capables de consommer, mais ils sont prudents, sensibilisés au fait que l’argent a de la valeur, qu’il faut épargner. »

Des limites difficiles à poser

Reste que beaucoup dépend du caractère de l’ado et de la façon dont sa famille a réussi à lui apprendre la valeur de l’argent. « Il est plus facile d’imposer des limites à un enfant entouré d’enfants qui, eux-mêmes, ont des limites », constate Marion, mère de quatre enfants, et membre des AFC (Associations familiales catholiques) à Tours. Le collège privé dans lequel son fils aîné est scolarisé en troisième organise des voyages de découverte en Europe. « À 500 € le voyage, on a dû lui expliquer qu’il n’en ferait qu’un par an, quand beaucoup de ses camarades les font tous, et qu’une partie de la somme sera prise sur son cadeau d’anniversaire. On lui a dit aussi qu’il a des frères et sœurs derrière lui. » Un rappel de la réalité, parfois difficile à faire pour les parents, encore plus, peut-être, s’ils savent en eux-mêmes qu’ils auraient les moyens de céder. « L’important est de leur donner un sens critique, de leur montrer que certains prix sont démesurés. Ils ont besoin qu’on les aide à ne pas se faire piéger. Et il faut également savoir céder sur une ou deux choses, ajoute Marion. C’est comme pour la télé ou les jeux vidéo. Mieux vaut leur donner la force de se dire “j’en ai assez”, plutôt que de les interdire à la maison en décrétant que c’est mauvais. Ensuite, estime-t-elle, c’est un combat de tous les jours ! Mais, n’est-ce pas cela, l’éducation ? »

Les parents doivent fixer les limites, c’est donc une affaire privée, intrafamiliale, face aux sollicitations commerciales. Mais le vrai danger est d’abandonner aux outrances du marché les familles les plus défavorisées. Sans repères et sans vrais moyens de défense, elles se lancent dans le « toujours plus » pour suivre, parce qu’il leur semble qu’ainsi leurs enfants resteront « au niveau ». Un niveau fixé par la société de consommation qui expose ces familles fragiles au risque du surendettement.

Nathalie LACUBE LA CROIX

mis en ligne le jeudi 11 janvier 2007
par ML



  
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